L’ESPRIT

La merveille de merveilles

Je ne peux chercher à sonder    la nature de l’esprit sans m’interroger d’abord sur ma nature véritable : « Celui qui connaît le tout, s’il est privé de lui-même est privé du tout » (log 67). Si je me trouve moi-même, je réalise que je règne sur le tout (log 2). Autrement dit, je ne me considère pas comme une parcelle du monde manifesté, une image fugitive, je ne suis pas une créature parmi d’autres, bien que cette vision puisse susciter l’admiration : « Si la chair a été à cause de 1’esprit, c’est une merveille » (log 29). Régnant sur le tout, je suis habilité à faire mienne la parole révélant la prise de conscience absolue : « Si 1 ‘esprit est à cause du corps, c’est une merveille de merveilles » (log 29). J’obtiens, grâce à ce corps façonné pour ma révélation, la vision unitaire de moi-même. Par lui, j’ai conscience de ma présence et j’ai le  bonheur de le dire pour moi-même par ce corps qui en ce moment tient la plume mais ne se veut pas distinct de moi malgré l’apparence. Je réponds aussi à la détresse de celui qui me cherche au milieu des épreuves, et, pour le conforter, je continue d’écrire ou je parle par la bouche de Jésus : « Celui qui boit à ma bouche sera comme moi » (log 108). Rien de plus gratifiant quand on meurt de soif que de boire à la bouche de Jésus. Cela me vaut de pouvoir faire miennes, sans restriction aucune, les paroles que le maître dit de lui-même : « Je suis le tout. Le tout est sorti de moi, et le tout est parvenu à moi. Fendez du bois, je suis là ; levez la pierre, vous me trouverez là » (log 77).

Le père et le fils procèdent de l’esprit

Il n’est pas facile, même pour un gnostique, de se défaire des schémas de son éducation religieuse. Il a appris que l’esprit procède du père et du fils et qu’il constitue la troisième personne (hypostase) de la trinité. Il sait que ce mystère de la trinité a suscité d’innombrables controverses et des hérésies retentissantes. On lui a enseigné que l’incarnation ne se conçoit pas sans la pentecôte : dieu s’incarne pour que l’homme puisse devenir porteur de l’esprit. C’est l’esprit qui a permis la résurrection de Jésus et l’église prolonge son action dont la pentecôte fut le signe visible.

Ces schémas sont toujours là même si la réflexion du gnostique se poursuit, même si les contradictions deviennent de plus en plus évidentes. Comment, par exemple, soutenir que l’esprit procède du père et du fils alors qu’il est le principe même de la connaissance qui unit le père et le fils ?

Possédant par nature la nostalgie de ses origines, le gnostique continue sa quête. S’il interroge les traditions orientales, il apprend que le vocable esprit ou principe vital est désigné par le mot soi ou atman dont la racine indo-européenne signifie respirer, souffler. En grec, comme en hébreu, c’est le même terme qui désigne le vent et l’esprit. Dans son entretien avec Nicodème, Jésus dit : « Le vent souffle où il veut, et tu entends sa voix, mais tu ne sais    ni d’où il vient, ni où il va. Ainsi en est-il de quiconque est né de l’Esprit. » (Jn 3.8) Dans les Upanishads, l’identité de l’atman, le soi et    du brahman,    la totalité, y est proclamée à maintes reprises. L’atman-brahman n’est pas une réalité inerte ; elle est animée au sens où elle exprime la source de la vie et la vie même. Le mot « esprit » se retrouve dans le bouddhisme. Dans la bouche des grands patriarches, il était synonyme de l’absolu, du soi. Houang Po disait    : « Reconnaissez dès à présent votre propre Esprit et vous en saurez assez pour voir votre nature originelle sans avoir plus rien d’autre à chercher. »

La lumière révélatrice

Néanmoins, pour tenter d’exprimer l’essence même de la vie, ce sont les grands soufis que le gnostique est amené à interroger, car, s’il veut découvrir ce qui fait voir, ce qui révèle, il ne peut pas ne pas entrer dans l’orbite de ces grands visionnaires. Ils nous parlent de la lumière révélatrice, de la lumière noire qui est à la fois visible par ce qu’elle fait voir et invisible elle-même. Cependant, c’est toujours la lumière qui se révèle à elle-même lorsqu’elle fait voir et qui est dans l’inconnaissance d’elle-même lorsque, dans le repos, elle n’est pas consciente de sa présence.

Il faut surtout éviter de confondre cette inconnaissance qui est en réalité le repos par rapport au mouvement que représente la reconnaissance avec les ténèbres du monde qui occultent la lumière et n’y ont pas accès. Le gnostique sait discerner la lumière de la source, ou lumière noire, des reflets qui représentent le monde des images.

L’esprit, l’atman-brahman, la lumière, le souffle… sont autant de vocables pour désigner l’absolu, le  soi, le principe vital. Si l’hindouisme met l’accent sur l’atman-brahman, le soufisme en revanche parle de la lumière comme en fait foi le verset coranique : « Dieu est la lumière du ciel et de la terre » (24.35) ou tel poète soufi : « 0 lumière sans soleil et soleil sans lumière » (Abd el Kader). Qu’en est-il de Jésus ? Dans ses paroles non encore récupérées par une apologétique axée sur le messianisme et la rédemption, il révèle une vision unitaire où l’esprit est à la fois lumière unique, absolue, toute-puissante. Principe créateur, l’esprit est l’inengendré qui s’engendre à la conscience de lui-même grâce au corps dévolu à  cette sublime fonction. Il ne peut se reconnaître dans la plénitude de sa perfection que par l’entremise de ce corps de révélation : « Si l’esprit est à cause du corps, c’est une merveille de merveilles » (log  29). L’émerveillement se produit lorsque l’image en tant que forme corporelle consent à sa dissolution dans la lumière.

Le corps grâce à l’esprit

Ce qui empêche la vision, c’est toujours l’image. Pourtant c’est l’image qui est l’occasion de la vision. Pas d’images, pas de vision, pas de manifestation. D’où l’importance qu’elles revêtent et que Jésus souligne : « Si la chair est à cause de l’esprit, c’est une merveille. » Autrement dit si la manifestation est l’oeuvre de l’esprit, c’est merveilleux. La conscience personnelle peut s’émerveiller en contemplant la création et son auteur. L’harmonie du cosmos est un beau thème de méditation, mais elle n’évacue pas le mal dans le monde d’où l’incarnation et la rédemption pour rétablir le règne de l’esprit. Ce qui paraissait compromis est rétabli. La chair est rachetée par le Christ rédempteur d’où l’importance que revêt l’incarnation dans l’oeuvre du salut. Mais il faut ajouter aussitôt que l’incarnation sans la résurrection constituerait un enlisement fatal et définitif : « Si le Christ n’est pas ressuscité, votre foi est vaine » (Co 15.17). Toute la cosmologie chrétienne est édifiée sur le mystère de la résurrection du Christ.

L’esprit grâce au corps

Je me reconnais esprit grâce au corps préparé à cette fin. J’ai façonné ce corps afin qu’il soit comme moi esprit : « Ce qui est né de la chair est chair et ce qui est né de l’esprit est esprit » (Jn 3.8). Les hommes voient ce qui naît de la chair. Ce sont les apparences, séduisantes ou déplaisantes. Encore une fois, c’est la chair à cause de l’esprit. En revanche, l’esprit, cause de ce qui parait, engendre, pour se reconnaître, ce qui ne se veut pas différent de lui et c’est ce révélateur qui permet la reconnaissance.

Pour naître de l’esprit, il faut transcender les images. Découvrir l’esprit, c’est trouver la lumière qui efface l’image. Or la lumière est cause des images. Comme celui qui naît de l’esprit entend son souffle, de même il vient à la lumière (Jn 3.21). Les mots esprit et lumière sont synonymes dans la bouche de Jésus. Disant à maintes reprises, « je suis la lumière », Jésus s’identifie à l’esprit. Et, comme il proclame son identité avec le père en déclarant « le père et moi, nous sommes un » (Jn 10.30), Jésus atteste par là-même que le père est lumière, et le signe de la vision réelle du père, c’est lorsque l’image fait place à la lumière : « Les images se manifestent à l’homme et la lumière qui est en elles est cachée. Dans l’image de la lumière du père, elle se dévoilera et son image sera cachée par sa lumière » (log  83). Jésus, qui a la vision juste du père, le perçoit lumière, comme il se perçoit lui-même lumière.

Si je remplace le mot « lumière »    par son équivalent « esprit », je mesure mieux encore la cécité de l’image, incapable de retourner par elle-même à la lumière dont elle est issue. Le père est esprit, le fils est esprit. Tant que l’homme s’attache à l’image du père et à celle du fils, il ne peut qu’être aveuglé par l’apparence et avoir un comportement anthropomorphique envers chacun d’eux : on aspire à transcender l’image pour découvrir la réalité qu’elle prétend représenter. L’oedipe demande à être liquidé même si la loi et la morale semblent l’interdire. Le commandement dit : « Tes père et mère honoreras afin de vivre longuement », Jésus dit : « Celui qui ne récuse son père et sa mère comme moi ne pourra se faire mon disciple » (log 55). Jésus introduit donc    une dimension nouvelle. Après avoir dit de donner à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu, Jésus nous demande de lui donner ce qui est à lui. Ce n’est plus le commandement ici qui prévaut, c’est la reconnaissance du semblable ; c’est le semblable qui découvre le semblable, qui se perçoit comme étant le même. Toute différence abolie, il s’affirme le même « Je suis lui, il est  moi. » Ce  que l’un dit, l’autre qui est le même, l’alter ego, le jumeau, le dit aussi : « Le père  est en moi et moi dans le père » (Jn 10.38). Cette unité semble démentie par les apparences, c’est pourquoi Jésus est amené à réitérer l’unité réelle : « Qui m’a vu, a vu le  père » ( Jn 14.9), ou bien « le père est en  moi et moi dans le père » ( Jn 14.9) ; ou bien encore : « Le père aime le fils : il a tout remis en sa main » ( Jn 3.35) et aussi « Le père aime le fils et lui montre tout ce qu’il fait » (Jn 5. 20). Cependant la reconnaissance révèle toute sa portée dans un contexte pourtant peu favorable à une vision unitaire, par une parole où Jésus se situe et nous situe par rapport au père : « Tout m’a été remis par mon père et nul ne connaît le fils si ce n’est le père, comme nul ne connaît le père si ce n’est le fils, et celui à qui le fils veut bien le révéler » (Mt 11.27 ; Lc 10.22).

La révélation du fils

Si je parle du père et du fils, c’est donc en vertu d’une révélation du fils qui me permet de dire comme lui : « Je suis la lumière. » En revanche, si la parole ne me concerne pas, je suis un apostat et un blasphémateur. Tant que je vois une différence entre le père et le fils, et je dirai plus, tant que je me considère autre que le fils, je suis divisé contre moi-même « Quand le disciple est partagé, il sera rempli de ténèbres » (log  61), mais quand je me vois comme étant le même, alors ce qui pouvait paraître différent s’efface : « Quand le disciple est désert, il sera rempli de lumière » (log 61).

Tout est à nouveau admirablement précisé dans ce logion : « A celui qui blasphème contre le père, on pardonnera et à celui qui blasphème contre le fils, on pardonnera ; mais à celui qui blasphème contre 1’esprit pur on ne pardonnera ni sur la terre ni au ciel » (log  44). Tant que je n’envisage pas la cause de ce qui paraît, tant que je ne suis pas la source, autrement dit, tant que je ne règne pas sur le tout (log 2), je maintiens une différence que je me dois d’effacer sinon je vais rester autre que le père, autre que le fils. Cette liquidation de l’oedipe au niveau suprême demande la dissolution de l’image dans la lumière. Autrement dit, ce qui parait est effacé au profit de ce qui est. On ne peut dès lors choisir ce qui parait sans trahir son être. Si donc je m’attache à ce qui est, je le distingue de ce qui paraît et celui qui s’identifie à l’apparence ne peut que considérer comme blasphématoire une telle attitude alors qu’elle est recherche de la lumière. Il n’en va pas de même de l’esprit, « le souffle de tous les souffles » (Ibn al Farid), « la lumière qui efface 1’image » (log  83).
Blasphémer contre l’esprit, c’est ignorer délibérément la lumière, s’en tenir à ce qui parait en méconnaissant ce qui est.

Si je maintiens la différence entre l’esprit et moi, j’outrage l’essence de mon être en préférant l’obscurité à la lumière (Jn 3.19). En revanche, si je me reconnais l’esprit, je me reconnais aussi dans le père et le fils comme ils se reconnaissent. Disant : « je suis la lumière ». Jésus peut tout aussi bien dire : « Je suis l’esprit » et comme il est le même que le  père, il atteste en même temps que le père est esprit comme lui. En tant qu’esprit, le père engendre le fils et celui à qui le fils le révèle (Mt  11.27 ; Lc 10.22). Plus précisément, l’esprit, que je suis, se dit dans le dialogue du père et du fils. Maître  Eckhart a formulé avec bonheur cette relation : « Le père engendre sans cesse son fils et je dis plus encore : il m’engendre en tant que son fils et le même fils. Je dis davantage : il m’engendre en tant que lui et lui en tant que moi, et moi en tant que son être et sa nature » (Sermon 6, Justi vivent in aeternum). Dès lors affirmer sa différence, c’est blasphémer contre l’esprit et commettre, comme le dit un soufi, « le péché auquel nul autre ne peut être comparé ».

Ainsi, je suis l’esprit lorsque je me reconnais en lui, comme je me reconnais dans la lumière du père et du fils. Je suis l’esprit qui s’engendre à la conscience de lui-même. Pour ce faire, j’enfante le multiple tout en préservant mon unité. Je fais le deux avec le père et le fils, et grâce à eux, je fais le deux un. Le père et le fils procèdent de moi et non l’inverse. Voilà  bientôt deux millénaires qu’on enseigne que l’esprit procède du  père et du fils.

Lorsque Jésus, « issu de celui qui est égal », déclare : « Je suis la lumière qui est sur eux tous, je suis le tout. Le tout est sorti de  moi, et le tout est parvenu à moi » (log 77), il dit en même temps sa nature, son origine et sa fonction.

La lumière qui fait voir

Parlant de sa nature, Jésus dit : « je    suis la lumière » (log 77 ; Jn 8 .12 ; Jn 9.5). Mais c’est une lumière que méconnaissent les hommes, une lumière qu’ils ne voient point : « La lumière est venue dans le monde  et les hommes ont préféré 1’obscurité à la lumière » (Jn 3.19). Jésus est amené souvent à confirmer à ses interlocuteurs qui restent prisonniers des images son identité réelle. A la question : « Renseigne-nous sur le lieu où tu es … », il répond : « Il y a de la lumière au dedans d’un être lumineux, et il illumine le monde entier. S’il n’illumine pas, il est ténèbres » (log 24). Cette lumière, à laquelle Jésus s’identifie, est celle des origines. Elle est la même pour ceux qui ont découvert leur suprême réalité : « Quand le disciple est désert, il est rempli de lumière, mais quand il est partagé, il est rempli de ténèbres » (log 61). Ce sont toujours les images qui empêchent la vision unitaire, d’où la question : « Quel jour te manifesteras-tu à nous et quel jour te verrons-nous ? » La réponse, claire pour le gnostique, est incompréhensible pour le psychique : « Lorsque vous vous dépouillerez de votre honte et prendrez vos vêtements … les  piétinerez, alors vous verrez le Fils de celui qui est vivant et vous n’aurez pas peur » (log 37). Et ce constat en fin de l’Evangile selon Thomas : « Le royaume du père s’étend sur la terre et les hommes ne le voient pas » (log 113). Jésus constate que ce qui empêche la vision du père est aussi ce qui empêche la vision du fils. L’ivresse est générale (log 28). Mais la surdité aussi : « Celui qui est le souffle des souffles » (Kabir), celui qui fait entendre n’est pas mieux perçu que celui qui fait voir. Pour cela, il faut naître de l’esprit : « ce qui est né de la chair est chair, et ce qui est né de 1’esprit est esprit … Il faut naître d’en haut. Le vent souffle où il veut, et tu entends sa voix, mais tu ne sais ni d’où il vient ni où il va. Ainsi en est-il de quiconque naît de l’esprit » (Jn 3.6-8). A celui qui naît de l’esprit, le souffle est perceptible au même titre que la lumière, puisque l’esprit est à la fois souffle et lumière. Celui qui fait entendre et celui qui fait voir sont le même. Pour cette compréhension ultime, il n’est qu’une route, celle du corps qui pratique le silence pour que parle et s’écoute parler le verbe comme il voit en se voyant. C’est l’impulsion originelle qui émane de l’esprit en qui Jésus se contemple en présence du père. Et leur dialogue est celui où alternent entre eux le don et l’accueil. C’est le langage des jumeaux – « le père et moi, nous sommes un » – C’est le langage de l’esprit, c’est le singulier que cache le  pluriel.

Son image sera cachée par sa    1umière

Si le pluriel voile le singulier comment celui-ci se révèle-t­il ? Autrement dit, si le multiple cache l’unique, comment l’unique se rend-il perceptible ? La fonction étant liée à la nature, c’est encore le corps qu’il faut interroger. Après avoir dit qu’il était la lumière – l’autre nom de l’esprit – Jésus, que nous sollicitons à nouveau, nous dit : « Je suis le  tout, le  tout est sorti de moi et le tout est parvenu à moi. » C’est l’esprit qui parle ainsi par la bouche de celui qui a décliné son identité : « Je suis la lumière. » En d’autres termes, c’est l’esprit qui dit comment il procède. Que Jésus parle du père ou du fils, c’est toujours l’esprit qui dit comment le père et le fils procèdent de lui – et non l’inverse – Le  tout sort de l’esprit et revient à l’esprit. Si l’esprit n’engendrait pas il se priverait de lui-même ; plus précisément il serait privé de sa reconnaissance,    car c’est lors du retour qu’il se révèle à lui­même ; ainsi pas de sortie, pas de retour et pas de conscience de l’unique présence. Mais si la sortie engendre le multiple, le multiple en tant que tel ne permet pas à l’un de se reconnaître. Or le fils, alter ego du  père, permet justement le retour ; et il le permet parce qu’il est de même nature que le père. Et, ce qui est le gage de la continuation de la reconnaissance, c’est que la révélation de l’esprit n’est pas un événement survenu au temps de Jésus mais une réalité qui se poursuit de toute éternité. Du  reste Jésus, parlant de la connaissance de l’esprit propre au père et au fils, prend soin d’ajouter : « et celui à qui le fils veut bien le révéler » (Mt 11.27; Lc 10.22). Nous restons ici dans le singulier que ne peut révéler le multiple. « Là où il y a trois dieux, ce sont des  dieux, là où il y en a deux en un, moi je suis avec lui » (log 30). Etant l’esprit qui initie, Jésus choisit celui qui sera à son tour initiateur : « Je vous choisirai un entre mille et deux entre dix mille et, debout, ils seront l’unique » (log 23).

De toute éternité, l’esprit est à l’oeuvre pour que se perpétue sa reconnaissance, c’est-à-dire la révélation de lui-même à lui-même et pour lui-même. L’initié, devenu initiateur, est dans l’unité de l’esprit ; en lui, toute différence est abolie. Cependant, si sur le plan des apparences, il a un alter ego, comme le  père et le fils, Jésus-Thomas…,  c’est le même qui se dit et s’entend.

Si je parle de l’esprit en maintenant une différence entre lui et moi, alors j’outrage mon essence même. Je me condamne à ne pas être. En revanche, si je me reconnais en lui, je me reconnais d’un même mouvement dans le père et le fils. Car, pour dire que le père et le fils sont un, je signifie par là que je les englobe, autrement dit, qu’ils procèdent de moi. Et si, dans une même attention à moi-même, je dis comme Jésus : « Je suis la lumière » (log 77 ; Jn 8.12 ; 9.5), je me reconnais dans ma nature, dans mon origine et dans ma fonction. A  celui qui s’aviserait de m’accuser d’outrecuidance, je dirais que le logion 108 autorise, mieux encourage, l’audace suprême. Je lui parlerais peut-être de l’entretien de Jésus avec Nicodème. Ou bien j’observerais le silence qui convient à mon occultation, ma révélation étant assurée par celui qui ne se veut autre que moi et assure la triple fonction que représente le triptyque : révélation, occultation, initiation.