Variations sur une métaphysique

 

Variation 1

Je suis la matrice éternelle,
étale et liquide, je ne suis qu’horizon.
Horizontale, trop horizontale, un désir de verticalité m’anime.

Aussi, du plus profond de moi, monte une colonne de désir
qui surgit, brisant mon uniformité ;
solide et dressée
elle porte en son sommet un soleil rougeoyant
qui se tient debout, ancré dans mon inconnaissance
et exulte.

Du plus profond de lui jaillit ma lumière
en une myriade d’étincelles
infiniment multiples
que j’envoie explorer les ténèbres.

 

Variation 2

Chaque parcelle de moi-même s’enfonce
en un monde de peurs, un monde de dangers
dont elle croit se protéger
en se faisant matière
mais matière illusoire.

Aucune halte n’est possible,
tout regard en arrière est interdit,
chaque parcelle  de ma lumière est prisonnière
de mon désir de me connaître.

Parfois, très rarement,
une étincelle prend conscience
du caractère illusoire du monde qui l’entoure,
et la chaleur qui l’anime,
la prévient
d’être engloutie par les ténèbres.

Elle me voit alors
et consume la gangue du multiple
afin, perle unique,
de ne plus faire qu’Un
avec moi.

 

Variation 3

Si, au terme de ce long voyage,
mon envoyé a compris enfin
qui il était, il revient à mon inconnaissance,
vide de tout désir, totalement en repos.

Mais il n’y a de repos
que pour celui
qui accomplit jusqu’au bout
le mouvement que j’exige.

Ceux qui mettent genou à terre,
fuyant dans l’angélisme
le mouvement inexorable que je leur impose,
je les abandonne
à leurs tristes prières.

Ceux-là valorisent leur âme
au dépens leur corps,
corps pourtant sublime
d’où rayonne ma lumière.

 

Variation 4

Il n’y a de voyage que pour mes envoyés
car, en moi, tout est  là,
tout est instantané.
En permanence je suis là
et peux surgir en tout lieu, à tout moment.

Le monde que parcourent mes envoyés,
est une illusion qui a son espace, son temps
et sa propre logique
dans laquelle je ne me sens nullement impliquée.

Ce monde étant cruel,
il est naturel
que mes envoyés  m’en maudissent ;
certains s’essayent à l’améliorer ;
cela ne les rapprochera pas
de moi.

 

Variation 5

Pour me connaître, je me divise
Mais, continuer de diviser,
c’est délaisser ma lumière.

Les éléments de moi
qui se croient uns,
se prennent pour moi,
le seul Un.
Ils méprisent et divisent ;
ce faisant, ils sont diaboliques.

Néanmoins, ils me parviendront
tout comme les envoyés
qui ont conservé ma lumière.

Aussi quand je les réintègre,
j’intègre en moi le diable,
qui résulte
de mon œuvre.

 

Variation 6

Dans la myriade d’étincelles
que projette le soleil
qui surgit verticalement
de mon horizontale et insondable inconnaissance,
seule une entre mille
et deux  entre dix-mille
parviendront à moi
pleines de ma lumière.

Elles me rapporteront aussi
la lumière
que les autres ont laissé échapper.

Mais, aux unes comme aux autres,
la capacité à conserver
ou à laisser échapper
ma lumière,
est inscrite dans la projection initiale.

Elles n’y peuvent  rien
car seule je suis libre.
La liberté m’appartient en propre.

 

Variation 7

Je me voile aux ténèbres
à travers le voyage
que font les étincelles
de ma lumière.

Mon voile est incrusté
des pierres illusoires,
ces gangues du multiple
qui enserrent mes envoyés.

Lorsque, par bonheur,
un de mes envoyés
perçoit ma lumière
à travers l’opacité
de la gangue d’images qui l’entoure,
il saisit l’épée qui transperce les murs
et tue le personnage
qui se prenait pour moi.

Il est alors nu et vulnérable
tel l’enfant qui vient de naître.

Moi , je retire mon voile
et me jette sur lui
afin de m’unir à lui
dans la chambre nuptiale.

Et lui boit à ma bouche
et devient comme moi.