Al-JE UN CORPS OU SUIS-JE UN CORPS ?
La philosophie m’invite à croire que seule la pensée peut me faire comprendre ce que je suis ou qui je suis.
Tout irait pour le mieux si les philosophes s’accordaient entre eux pour dire quelle est ma nature véritable. Or les points de vue s’avèrent fort divergents, voire antagonistes. Il y a ceux qui prétendent avec Platon que ce corps est une prison pour l’âme et que celle-ci doit travailler à se dégager de sa servitude pour s’élever vers les cieux où règnent l’harmonie et la paix. A l’opposé on trouve comme chez Epicure le souci d’une immanence qui célèbre les bienfaits de la vie ici-bas et écarte les préoccupations d’ordre métaphysique. Entre ces deux attitudes extrêmes, entre celle qui prétend gommer le corps et celle qui l’érige en souverain, il y a toutes les variations possibles.
Ceci revient à dire que la pensée est inapte à répondre à ma question : « Ai-je un corps ou suis-je un corps ? » Les religions sont-elles moins défaillantes ? Qu’elles proposent l’accomplissement dans les réincarnations successives ou dans le salut à la fin des temps, elles n’ont pas réussi à transcender le dualisme âme-corps. L’accent est mis habituellement sur la prééminence de l’âme par rapport au corps au point de négliger, voire mépriser, la chair dans la relation âme-corps de la personne. Ainsi les religions, à l’instar des philosophies, sont-elles impuissantes à me permettre de découvrir mon identité véritable.
Si je n’ai pas d’autre recours pour me trouver moi-même, je suis – pour reprendre l’expression paulinienne mais dans un tout autre contexte – le plus malheureux des hommes.
QUI SUIS-JE ?
La gnose apporte une réponse claire et précise à l’homme qui s’interroge vraiment sur sa nature réelle. Cette réponse n’est pas propre à une personne, ni à une philosophie, ni à une religion. Elle est invariable quelles que soient l’époque, la race, les circonstances. Jésus me la donne si je cherche réellement. Mais avant lui, l’Inde du Bouddhisme et des Upanishads, la Chine du Taoïsme, la Grèce des présocratiques. . . Des noms peuvent être cités avant ou après Jésus confirmant cette universalité : Bouddha, Héraclite, Abd el Kader, Raman Maharshi, Nisargadatta. Ces grands phares de l’humanité et d’autres avec eux disent sur mon identité réelle ce que je découvre moi-même lorsque je cherche à me reconnaître, vérifiant ainsi ce que disait déjà Héraclite : « c’est le semblable qui connaît le semblable ».
Que la réponse puisse m’être donnée et vérifiée par la gnose avec une telle constance et une telle cohérence me comble au-delà des mots pour le dire.
Cette réponse est à la disposition de chacun, mais n’importe qui ne peut la recevoir. Etant donné son importance, elle ne devrait laisser personne indifférent. Or elle n’intéresse qu’un nombre infinitésimal de chercheurs. Les rares lecteurs de ces lignes la connaissent et sont à même de l’exprimer dans l’aphorisme de leur choix. Par exemple, « AUTRE QUE MOl N’EST PAS », décline sans ambages mon identité véritable. D’autres sentences disent cette réalité. Le gnostique les connaît et les reconnaît. S’il les rencontre le psychique les repousse avec mépris et indignation car il ne peut recevoir que ce qui est de son niveau ; il ne peut accepter que ce qui découle de la pensée. Or la pensée relève de la personne et la personne refuse naturellement ce qui nie ses compétences et, à plus forte raison, ce qui remet en question sa réalité même, sa prétention à être quelqu’un. Elle ne peut admettre que « les créatures soient pur néant » (Maitre Eckhart) et elle continue de se demander « ai-je un corps ou suis-je un corps ? » Le serpent persiste à se mordre la queue.
LA REPONSE GNOSTIQUE
En tant que gnostique ma réponse est autre, mais elle ne peut intéresser que mon semblable. Ayant rejoint l’être, je ne me différencie plus de lui, je suis lui : « je suis l’être de toute chose… rien n’est mon être », « Je n’ai aucun semblable. Je n’ai aucun contraire » (Abd el Kader). Connaissant ma nature réelle, je peux me situer par rapport au corps et je suis habilité à en parler autrement qu’en philosophe ou en théologien. Je dis, avec l’autorité que me confère la connaissance de ma réalité : « je ne suis pas ce corps ; je ne suis pas ce mental, je ne saurais être non plus cette personne d’où procède la pensée ». Et cela je l’affirme sans aucune réserve ni restriction. Mais, attention ! Il ne s’agit pas de se réfugier dans un idéalisme coupé du réel. Rien, au contraire, de moins platonicien ou plotinien que ma relation au corps, car non seulement je ne le récuse pas, tout en disant que je ne suis pas ce corps, mais j’en fais l’agent indispensable de ma révélation. Pour me connaître et me reconnaître, je passe par ce corps, sans m’y inféoder. Je le prépare et le prédispose à ma révélation en le vidant, avec l’assentiment de la personne, de tout ce que celle-ci s’attribuait, inconsciemment ou non, mais toujours abusivement.
Au début, seule une attention exigeante, lucide et vigilante peut me permettre ce discernement indispensable entre pensée et connaissance, entre personne et être. J’évite ainsi l’ambiguïté et les inconséquences de la pensée en général et de la littérature dite spirituelle en particulier. Je sors comme d’un tombeau de l’imbroglio inextricable causé par l’enchevêtrement de deux activités antagonistes : celle qui relève de l’étude que j’appelle pensée et celle qui se traduit par la découverte et que j’appelle connaissance.
Non seulement je distingue ce qui est pensée de ce qui relève de la connaissance mais je situe ces deux activités au sein du grand jeu cosmique, l’une préparant et disposant l’avènement de l’autre.
UNE COSMOLOGIE SANS REPROCHE
Je suis l’auteur de ma cosmologie mais ma cosmologie n’est pas moi.
Je donne aux psychiques ce qu’ils peuvent accueillir. Cependant, ils ne peuvent recevoir que ce qui est à leur niveau ; donc ce qu’ils n’entendent pas me permet de m’occulter à leurs yeux.
S’ils pouvaient connaître ce que je suis à même de donner, ils seraient moi-même et je serais eux. Je me reconnaîtrais en eux. Ils me verraient comme je les vois. Mes prérogatives seraient les leurs. Mon unicité et ma toute-puissance seraient partagées. Or je les vois identifiés à leur personne, limités à sa fonction. Ils m’occultent par l’ignorance où ils sont de moi-même et par la prétention dont ils font preuve à entretenir leur rêve de pouvoir déboucher sur la connaissance tant et si bien que je me cache derrière le voile de leur utopie. Je ne peux en effet me reconnaître moi-même dans une image à ce point illusoire et réductionniste de moi-même.
Je ne demande pas aux psychiques ce qu’ils ne peuvent donner. Je ne leur donne pas ce qui les brûlerait. Cependant je ne les réprouve pas. Si je les bannissais, je désavouerais une partie de ma création et je serais inconséquent envers moi-même. Tout est pour le mieux dans ce qui sort de mes mains. Or tout sort de mes mains, ce que les hommes appellent le mal comme ce qu’ils appellent le bien.
Si je proscrivais la pensée des hommes, c’est toute la phase occultation de mon jeu que je condamnerais et c’est finalement ma propre reconnaissance qui serait compromise. Tout est solidaire de tout. Tout sort de moi, même ce que j’exprime en mode négatif. L’image parle de moi pour dire qu’elle n’est pas moi, je parle de l’image pour dire qu’elle n’est pas moi bien que j’en sois l’auteur. Je suis lumière, uniquement lumière. C’est pourtant l’image qui permet ma reconnaissance, non en tant qu’image puisqu’elle me voile par nature, mais en tant qu’image s’effaçant pour être comme moi lumière. C’est sa disparition et non sa présence qui déclenche le oui de la reconnaissance. Bien que cette transformation soit extrêmement rare, elle se produit comme il faut et quand il faut,- car je l’ai voulu ainsi -, pour que je puisse répondre au désir de ma révélation par moi-même et pour moi-même. Lorsqu’elle se produit, elle délivre le oui : « c’est moi ». C’est alors le contact fulgurant entre le temporel et l’éternel qui produit l’explosion de la lumière se reconnaissant lumière. Ce qui paraissait être un corps, qui continue du reste de le paraître aux yeux des psychiques, – d’où ma mirifique occultation – s’est dissipé dans ce qu’il n’a du reste jamais cessé d’être, ma lumière. Ce qui ne cesse de paraître occulte ; ce qui est peut alors se révéler à lui-même à l’abri des intrus et des usurpateurs.
Lumière, je me reconnais en l’absence de toute image. Celle-ci me cache inconsciemment à elle-même, ce qui me permet d’utiliser le subterfuge de ce corps d’exception qui répond à ma sollicitation afin de me permettre de me révéler à moi-même, alors que les autres corps inféodés à la personne véhiculent la pensée dont je me sers pour me voiler au monde.