Logion 54 – Commentaire d’Emile Gillabert dans le Cahier 43 (P12/13)

Puis-je dire quelque chose des pauvres ou de la pauvreté qui n’aille pas dans le sens d’une rétention de quelque nature qu’elle soit? L’image du tout petit s’offre à moi: il est sans passé, sans projet, démuni, désarmé et pourtant tout s’ordonne, tout se mobilise autour de lui pour que son existence soit assurée dans les meilleures conditions. Le pauvre ne serait – il pas comme ce tout petit?

Mais l’image du tout petit est encore un concept. Or tout concept, toute idée, est du domaine du mental. C’est donc quelque chose qui s’ajoute à un acquis dont je dois me départir pour être réellement pauvre. Tant que je nourris des concepts, tant que j’évoque des images, je travaille à alimenter mon mental, ce qui va dans le sens inverse de ce que je recherche. Comment faire tarir cette source d’inflation? Ou ce qui revient au même, comment retrouver l’état d’avant les conditionnements, d’avant même le concept Je Suis?

Je ne peux me servir du mental pour revenir à l’état sans mental. En revanche, j’ai connu, je connais, des états où les pensées n’interfèrent pas, des moments de plénitude où le cerveau est alerte mais tranquille, attentif à quelque chose qui tend à se révéler dans un silence où la mémoire et l’imagination sont absentes. C’est là comme une totalité sans limite, c’est perçu comme une vision sans quelqu’un qui voit et sans quelque chose à voir, c’est vécu dans une paix et une simplicité où rien n’est plus séparé. Le comparable s’est effacé devant l’incomparable. On baigne dans un univers sans contraire, sans contraste, sans désir et sans peur.