L’ENFANT

Je te veux tout petit
je te veux sans rien du tout
démuni, dépourvu
comme tu étais avant de venir
comme tu es encore
comme tu ne seras plus demain.

Moi qui ne me vois pas
je veux te voir sans voile
sans honte sans retenue
afin de me voir en toi
tel que je suis toujours.

Je te veux tel que tu es
ici – maintenant
parce que tu n’es pas encore quelqu’un.

Dépêche-toi, mon tout petit,
de rester ce que tu es
ne réponds pas à l’appel du voyage.

Tout le monde s’en va
moi je te garde
on bascule trop vite
de l’autre côté
sur la rive étrangère
d’où l’on ne revient pas
ma chance à moi
– d’aucuns  disent mon malheur –
ça a été de me retrouver
comme si je n’étais pas parti
il paraît que ça s’est déjà vu
qu’on se retrouve comme au premier jour
quelques rescapés au fil des siècles
je suis seul tu sais
plus seul qu’avant de partir
plus seul que toi.

Non ne pars pas déjà
n’écoute pas le vent
reste là
il ne se lève pas pour toi
c’est drôle
moi qui ne peux me poser
je me surprends à tenir ton berceau
pour que tu ne partes pas
ne quitte pas mes yeux
moi qui ne peux pas me voir
je me vois en te voyant.

Je me vois comme je suis toujours
comment dire?
– ça ne se dit jamais à quelqu’un
ce que je brûle de te confier –

Je suis seul
et j’ai besoin d’être deux
le temps de réaliser que je suis l’unique
ça n’est possible qu’avec toi
parce que tu n’es pas encore quelqu’un.

Je me vois dans ton regard
et je vois en même temps
qu’autre que moi n’est pas.