Ils sont venus au monde vides et en sont même à tenter de repartir vides

 

 

Réflexion de Christian

Le point essentiel de cette réplique de Jésus, dans le logion 28, est « que nous sommes venus au monde vides » ; c’est ce fait qui est une des révélations majeures contenues dans l’Evangile de Thomas, c’est cette proposition qui me fait vibrer en lisant ces trois versets.

L’affirmation que les hommes sont aveugles et qu’ils vont rester ignorants jusqu’à leur dernier jour, a le mérite, si j’en avais encore besoin, de comprendre qu’on ne peut rien changer à leur sort et que toute tentative est inutile et même préjudiciable pour tout le monde, soit.

Mais je suis friand de ce qui me dit qui je suis réellement, je jubile à l’évocation des secrets de la Gnose, dont celui de ma véritable nature qui est vide. C’est comme si, après toutes ces années de digestion de ces paroles, désormais en les repassant devant mes yeux, ces clés, devenues vivantes, étaient surlignées en rouge, en fait elles gonflent mon coeur et je m’y arrête, laissant le reste s’évanouir.

 

Réponse de Michel

Jésus dit : « ils sont venus au monde vides et en sont même à tenter de repartir vides ».

Personnellement, j’ai toujours senti confusément qu’à la naissance, j’étais, comme tous les hommes, vide de tout mental et de tout ego. L’Evangile selon Thomas m’a donc conforté dans ce sentiment.

Par contre, que les hommes « en soient même à tenter de repartir vides » nous interroge. Je me rappelle très bien une réflexion, lors d’un séminaire, d’un membre fondateur de l’association, qui avouait que ce passage le laissait dans l’expectative.

Pour moi, le secret que me révèle la Gnose, ce n’est pas tellement que « ma véritable nature est vide »,  c’est qu’en tuant mon ego (« le grand personnage ») et en ne me laissant pas séduire par les pièges du mental, je peux redevenir l’enfant que j’étais avant sept jours et qu’ainsi, lorsque j’arriverai au terme de ma vie corporelle, je n’aurai qu’à interroger cet enfant  Vivant en moi, « au sujet du lieu de la Vie ».

 

Réponse de Christian

Concernant la fin des versets en question, Emile avait précisé en séance que, pour lui, le dernier « vide » dans « ils en sont même à tenter de repartir vides » signifiait « ignorant », c’est à dire qu’au terme de leurs vies, ils n’ont toujours rien compris à ces choses qu’il nous dit. Le premier « vide  » est bien sur celui de la vacuité Bouddhique qui est aussi plénitude, inconsciente chez le petit enfant et les « petits qui tètent », puis consciente chez celui qui le retrouve au terme de sa recherche.

 

Réponse d’Yves

Emile lui-même a évolué dans ses différentes traductions entre la première réalisée à partir des traductions françaises existant à l’époque (dite édition Philippe de Suarez qui n’a fait qu’apporter sa signature) et celle réalisée en collaboration avec Yves Haas et Pierre Bourgeois.
En s’en tenant à la dernière version d’Emile, deux interprétations sont possibles :
Faut-il comprendre que les hommes parce qu’ils sont ivres repartent en étant au même point qu’au moment de leur naissance, donc sans avoir rien vu ni rien compris (i.e. dépourvus du Tout, vides de toute Plénitude, de toute gnose donc en manque, parce qu’ils n’ont pas trouvé ni même cherché le trésor que recèle les paroles de Jésus) ? Le terme « vide » semble ici plutôt en parallèle avec le terme « aveugle ». Parce que les hommes sont aveugles ils sont prêts à repartir comme ils sont arrivés, c’est-à-dire sans avoir trouvé l’interprétation des paroles de Jésus, sans avoir laissé la bonne terre vierge être fécondée par la graine de l’Esprit. Ils sont aveugles parce qu’ils sont ivres et leur vin est celui de l’ignorance. Ce n’est qu’en ayant soif du vin de la Gnose, en se dépouillant des constructions mentales comme le petit enfant de sept jours, que le fils de l’homme pourra laisser germer en soi la graine jetée par le semeur et donner un bon fruit vers le ciel, c’est-à-dire accéder au Royaume.
Ou faut-il comprendre qu’à cause de leur ivresse et des surimpositions du mental, ils ne voient pas qu’ils viennent au monde vides et doivent repartir vides comme ils sont venus, leur ivresse leur occultant leur état de vacuité ? Donc sans réaliser que « Dès l’origine aucune chose n’est » (Hui Neng).

Il n’y a pas beaucoup de commentaires d’Emile sur ce passage précis. Je n’en ai même trouvé aucun dans les commentaires du logion 28 de l’édition de l’Evangile selon Thomas, ou du Procès de Jésus ou encore du Cahier Métanoïa correspondant à ce logion.
La traduction dite de Philippe de Suarez (en réalité d’Emile) pourrait être comprise dans ce dernier sens :

« Ils ne voient pas du tout
qu’ils sont venus vides dans le monde:
ils chercheraient bien à sortir vides du monde,
si ce n’est que maintenant ils sont ivres ».

Encore que le Swami Shraddhânanda Giri la comprenne dans le sens d’un manque (Le monde… est vide. L’individu n’y trouve pas l’essentiel, la Plénitude qui est sa nature propre – Ed Les Deux Océans, p. 55)
Il se trouve que sur la base d’une traduction littérale (celle de Yves Haas), Emile a modifié cette première traduction pour écrire :

« mon âme a souffert sur les enfants des hommes
parce que des aveugles ce sont dans leur cœur
et ils voient ne-pas
qu’ils sont venus au monde en étant vides,
et qu’ils cherchent même à venir hors du monde en étant vides » (trad. Y. Haas)

« mon âme a souffert pour les fils des hommes
parce qu’ils sont aveugles dans leur cœur
et ne voient pas
qu’ils sont venus au monde vides
et en sont même à tenter de repartir vides.
Mais voilà, maintenant ils sont ivres. » (Trad. Emile)

Tout dépend certes du sens du terme vide dans ce passage précis, mais la traduction d’Emile donne le sentiment qu’il s’agit d’un état de manque
Le terme copte traduit par vide doit-il s’entendre dans le sens de « vacuité » au sens métaphysique ou de « manque »?
Dans « L’Evangile voie de la connaissance » (p. 92) Emile dit bien en parlant du logion 28 : « Ainsi ma nature véritable est le vide; mais ce vide n’est pas lié à la naissance car je ne suis pas identifiable à ce parcours existentiel de la personne: Heureux celui qui était déjà avant d’exister (log19) ».
Si le vide véritable n’est pas lié à ma naissance et est donc antérieur à celle-ci, je ne puis en aucun cas repartir avec ce vide que je ne possède pas en cette existence.
L’homme vient vide et de toutes façons repart vide: est-ce de ne pas voir cela qui fait l’aveuglement, l’ivresse du psychique?
Le psychique est né et prisonnier de cette naissance : il porte un masque auquel il s’identifie et le laisser tomber tant il craint de se démasquer. Le gnostique est non-né : lui seul peut dévoiler son visage d’avant sa naissance.

En tout cas, il y a de quoi creuser encore ce logion.

 

Réponse de Louis Marie

Creusons donc ! et pourquoi pas à côté du nœud tant il est préjudiciable d’être partagé. La traduction peut s’avérer délicate sur un détail (!) mais c’est par tout l’évangile que nous pouvons saisir combien le langage de Jésus est viril et combien le Royaume ne nous est pas donné.

Employé pour vacuité le terme n’aurait pas d’autre occurrence dans l’évangile, il n’est employé que dans cette histoire de cruche <finalement> vide (log 97)  où le royaume est comparé à la femme et sa démarche de dessaisissement.

Il nous faut manger ce qui est mort, nous ne pouvons pas faire l’économie de l’épreuve. Le Royaume est le fruit d’un combat, l’épée à la main, la récolte d’un homme averti faucille à la main, la revanche d’une croix  portée. Nulle vacuité donnée en fait, c’est à l’homme qui a vécu que l’enfant de sept jours vibrant d’amour répond. Le désert est porté pour être rempli de lumière. Non pas le vide mais le feu sur le monde ; la fin et le commencement ne sont pas vides mais seulement confondus. Non pas le vide mais la Lumière, le Tout, le repos, des modèles qui ne meurent ni ne se manifestent, une richesse dans une pauvreté, un mouvement et un repos.

L’expression « ils sont venus au monde vides » exerce sur nous une fascination, corrélé à la manifestation dans la chair nous lui donnons le sens de vacuité mais vides ainsi nous ne venons pas au monde nous ne sommes pas du monde, et la conjugaison de deux sens au terme vides sonne mal aujourd’hui, vraisemblablement dans la bouche de Jésus  vide n’a pas le sens que nous lui donnons aujourd’hui, peut-être transcendé par la découverte du vide cosmique, ou par l’écho d’autres traditions, par le néant de maître Eckart. Au moins sommes-nous d’accord pour résumer notre connaissance en un vide plein adoubé par lui-même.

Nous ne coupons pas des cheveux en quatre, il est naturel de vouloir saisir au plus près l’intention du génie de Jésus et le jeu divin, la cosmologie qu’il induit: la place du monde et de l’ initiation, le rôle des quatre grands de Lao Tseu: le Tao, le ciel, la terre et l’homme.