Tant que je n’ai pas connu le monde, j’espère sans doute toujours y trouver le réconfort, celui que tout un chacun achète et obtient par la connivence, l’adhésion aux codes et usages, le partage de la reconnaissance mutuelle et réciproque, l’opposition, l’affrontement, la compétition. Si je veux accéder au royaume de l’esprit, je dois découvrir ce qu’est la personne, équilibre pas toujours harmonieux entre intégration des codes de reconnaissance communs à l’espèce humaine et exercice de différenciation de l’individu par rapport à la communauté. Alors que pour beaucoup, c’est le « challenge » de l’existence, stimulant dans la réussite comme dans l’échec passager, combien cela peut-il constituer une rude épreuve pour celui qui ne peut éviter de voir ou deviner l’aspect dérisoire et vaniteux de tout chemin personnel quel qu’il soit, petit ou grand dans l’histoire des hommes, tout simplement parce qu’il a en lui la nostalgie de l’Un originel dans lequel baigne tout petit homme à ses premiers jours, et qu’il lui est impossible de laisser s’éteindre la flamme de vie de l’enfance sous l’épaisse couche des conditionnements !
Un cadavre ! Rien moins que ça, voilà l’image peu elliptique qu’emploie Jésus pour nommer ce qui meuble et occupe l’existence de la personne dans le monde. Un cadavre, c’est mort, comme sont morts beaucoup qui ont laissé la flamme en eux se faire souffler par le matérialisme ou les idéologies, par la pensée envahissante. Le monde est en soi, pas au dehors : pourrait-il y avoir un objet quel qu’il soit, un chat ou une rivière lorsqu’ils sont devant mes yeux si je ne savais pas les concevoir, comme ce fut le cas lorsque j’étais âgé de deux ou trois semaines ? Partant de ce constat parfaitement lucide, fruit de la vision retournée vers sa source, que vaut mon identité individuelle psychologique et anthropomorphique lorsqu’ enfin, je la vois telle qu’elle est, comparable à une production cinématographique ?
Car le monde, la personne, l’existence circonstanciée sont une seule et même chose : en fait l’épreuve, qui devrait conduire à trouver la Vie le solitaire qui a des oreilles pour entendre par derrière les discours et des yeux pour voir à travers les apparences. Alors seulement le monde – cadavre trouve sa justification dans cette apothéose de celui-là, non évènement en totale discrétion mais de portée cosmique, pour qui il n’y a plus ni mort ni peur, mais le Vivant issu du Vivant et sa manifestation vivifiée.