Archives de catégorie : Textes de Christian

Emile et Utos

La Gnose est très simple, d’une simplicité enfantine, trop simple pour  être saisissable par l’outil mental. Ceux qui ont fréquenté la compagnie d’Emile l’ont certainement entendu affirmer tranquillement que c’est son chien Utos qui lui avait enseigné la Gnose, et Monique a depuis souvent relayé ce propos, le confirmant. Comment un animal, serait-il un beau Patou des Pyrénées, peut-il enseigner la Gnose ? Voilà une question d’importance majeure, qui a pris en moi la plus grande place car elle a été prononcée par un homme incomparable qui a témoigné à mes yeux et à mon être entier d’une paix, d’une qualité d’être, de présence, d’un bonheur intérieur et rayonnant qui constituent pour moi la preuve et la promesse. Il est le garant de la parole, et la parole fut son action. Et ses propos, même légers, ne démentaient jamais ce qu’il était.

C’est que la Gnose n’est pas un savoir universitaire, n’est pas mémorisable, ne se réduit pas à des mots. La Parole de gnose est vivante dans la bouche du maître, elle le reste dans l’oreille du disciple assoiffé, et elle meurt dans celles de ceux qui en font un savoir, et la transcription qu’en feront ces derniers les trahira immanquablement par une interprétation erronée.

Ce que montre l’animal, c’est ce que répond le petit enfant de quelques jours à l’interrogation de l’homme âgé au sujet du lieu de la Vie (Log 4) : une réponse silencieuse sans pensées. La Gnose conduit à la plénitude du vide. Dans « Je suis », Nisargadatta dit : « Le silence est primordial. Dans le silence et la paix, vous vous développez. »

Il est impossible de se souvenir d’avant le mental, cependant on peut en  avoir gardé une nostalgie, le corps l’a vécu. L’absence d’images et de  pensées permet la libre circulation des énergies dans le corps du petit homme comme dans celui de l’animal. Cet état sera retrouvé dans la jubilation au terme de la résolution d’une énigme aux mille pièges par l’homme déterminé à jouir de la Vie. Utos le maître chien donne la leçon du non mental : pas de soucis, pas d’affaires, pas de crainte de l’avenir, pas d’image de soi, pas de calcul, la confiance absolue, la  simplicité totale, le présent tout le temps ; un grand bonheur que seul l’homme peut dire, ce que le gnostique fait volontiers pour lui-même et pour les oreilles qui entendent, avec qui il partage par la parole sa connaissance et son émerveillement dans l’amour inconditionnel.

Le gnostique jouit de la Vie en esprit et ses paroles sont vecteur de Vie pour qui les entend. Les commentateurs commentent, le chien aboie, « tout passe et Je demeure » (Emile).

Merci Utos.

 

Commentaire du logion 57

A la moisson de la Gnose correspond la fin des illusions. La personne est illusion, le monde est illusion, l’âme individuelle est illusion étant séparée. Ce sont ces illusions qui, au jour de la moisson sont brûlées : « Les cieux ainsi que la terre s’enrouleront devant vous… » Log 111.

A la fin du monde objectif et subjectif, que reste-t-il ? Rien, mais certainement la vie nue, intense et radieuse, sans la forme ni l’idée, sans leurs fondations, sans leurs repères qui ont servi à leur construction, ce qui ne veut pas dire sans maîtrise.

Toutes les existences concourent-elles au même but du retour à l’Un originel, mues par un puissant désir primordial si souvent dévié qu’il  en est quasi invisible ? Sans doute, et ces déviations innombrables qui diffèrent sans cesse la moisson, font qu’aucun cheminement n’est identique à un autre, qu’aucun modèle  figé n’est applicable, que la  découverte de la vérité sera toujours inédite et nouvelle, comme l’est le magique instant présent, lieu de la Vie.

Les facteurs d’influence qui modèlent la construction de la personne sont si nombreux et obscurs, héritage de la lignée, prédispositions karmiques, milieu environnant, qu’inévitablement le désir primordial de retour à l’Origine (qui est ce qui va amener à la moisson) se trouve mélangé aux influences innombrables qui  construisent  l’aventure  individuelle  (l’ivraie).  Les  séparer  trop  tôt reviendrait à casser la dynamique de réponse à l’appel intérieur, si on tenait les comptes statistiques on dirait que le conformisme fait des ravages de tous temps, y compris aux époques d’ouverture des mentalités.

Une fois l’ivraie brûlée, je ne saurais être conforme puisque toutes références sont parties en fumée ! Et pour en arriver là il a fallu me protéger des jardiniers bien pensants et bons conseillers prompts à juger indécente la nature sauvage et insoumise du Vivant assoupi en eux-mêmes. L’insoumission ne nécessite pas forcément la provocation, pourquoi réveiller et attiser les forces contraires, le temps disponible est limité, Emile disait que le gnostique a le sentiment de l’urgence, c’est maintenant ou jamais.

Et c’est dedans, à l’intérieur. Toute confrontation ou polémique avec  des contradicteurs n’est que perte de temps inutile. La pensée la plus brillante ne peut saisir la lumière qui la précède, elle sera elle aussi au milieu de l’incendie le jour de la moisson. De même que pour vivre heureux il vaut mieux vivre caché, pour trouver la vérité mieux vaut chercher discrètement et ainsi éviter les vérités supérieures de tous ceux qui l’ont déjà trouvée…

Christian,   29/04/2015

Commentaire du logion 56

Tant que je n’ai pas connu le monde, j’espère sans doute toujours y trouver le réconfort,  celui  que  tout  un  chacun   achète  et  obtient  par  la  connivence, l’adhésion aux codes et usages, le partage de la reconnaissance mutuelle et réciproque, l’opposition, l’affrontement, la compétition. Si je veux accéder au royaume de  l’esprit,  je  dois  découvrir  ce  qu’est  la  personne,  équilibre  pas toujours harmonieux entre intégration des codes de reconnaissance communs à l’espèce humaine et exercice de différenciation de l’individu par rapport à la communauté. Alors que pour beaucoup, c’est le « challenge » de l’existence, stimulant dans la réussite comme dans l’échec passager, combien cela peut-il constituer une rude épreuve pour celui qui ne peut éviter de voir ou deviner l’aspect dérisoire et vaniteux de tout chemin personnel quel qu’il soit, petit ou grand dans l’histoire  des  hommes,  tout  simplement  parce  qu’il  a  en  lui  la nostalgie de l’Un originel dans lequel baigne tout petit homme à ses premiers jours,  et  qu’il  lui  est  impossible  de  laisser  s’éteindre  la  flamme de  vie  de l’enfance sous l’épaisse couche des conditionnements !

Un cadavre ! Rien moins que ça, voilà l’image peu elliptique qu’emploie Jésus pour  nommer  ce  qui  meuble  et  occupe l’existence de la  personne dans le monde. Un cadavre, c’est mort, comme sont morts beaucoup qui ont laissé la flamme en eux se faire souffler par le matérialisme ou les idéologies, par la pensée envahissante. Le monde est en soi, pas au dehors : pourrait-il y avoir un objet quel qu’il soit, un chat ou une rivière lorsqu’ils sont devant mes yeux si je ne savais pas les concevoir, comme ce fut le cas lorsque j’étais âgé de deux ou trois semaines ? Partant de ce constat parfaitement lucide, fruit de la vision retournée vers sa source, que vaut mon identité individuelle psychologique et anthropomorphique lorsqu’ enfin, je la vois telle qu’elle est, comparable à une production cinématographique ?

Car le monde, la personne, l’existence circonstanciée sont une seule et même chose : en fait l’épreuve, qui devrait conduire à trouver la Vie le solitaire qui a des oreilles pour entendre par derrière les discours et des yeux pour voir à travers  les  apparences.  Alors  seulement  le  monde  –  cadavre  trouve  sa justification  dans  cette  apothéose  de  celui-là,  non  évènement  en  totale discrétion mais de portée cosmique, pour qui il n’y a plus ni mort ni peur, mais le Vivant issu du Vivant et sa manifestation vivifiée.

Commentaire du logion 55

Emile disait : « On ne devient pas gnostique, mais on nait gnostique ». Dès lors, il ne reste plus qu’à découvrir qui « je » suis, sauf que dans un premier temps la phase d’acquisition construction de la personne précède inévitablement celle du bouleversement émerveillement et règne sur le tout. Présenté comme ça en quelques mots cela semble simple, évident, presque rapide : il est vrai que le temps est une notion relative, élastique, et remise en question dans l’approche de la Gnose ;
il est certain aussi que la venue au monde recèle son lot de souffrances pour celui qui « est au monde mais n’est pas du monde », avant de laisser place à l’émerveillement.

Que père et mère fussent équilibrés et sains, ou qu’ils le fussent beaucoup moins, dans tous les cas pour l’enfant et le jeune adulte qui a « cela en lui »(Log. 41 et 70), ils finissent rapidement par défaillir comme modèles aux yeux de celui qui recherche l’absolu, et cela durera jusqu’à ce que la manifestation dans ses différents aspects et les secrets de la Vie aient trouvé leur juste place dans la Connaissance véritable. Il en va de même pour frères et sœurs qu’ils soient de sang ou bien l’humanité entière : le constat de leur ivresse généralisée (Log 28), de leur orgueil, prétention à savoir, de leurs orientations intérieures, de leur méconnaissance d’eux-mêmes suffit à le renvoyer à lui-même. La croix qu’il doit alors porter est celle d’une solitude qu’il doit assumer et qui ne le quittera plus, même au sein des relations trouvées ou retrouvées, une certaine marginalité, une différence intérieure irrépressible qu’il ne saurait renier, sans pour autant la cultiver (contrairement à l’attitude ignorante de celui qui se veut différent pour s’affirmer).

Il y a donc des conditions à remplir pour pouvoir se faire le disciple de Jésus Le Vivant : ne pas récuser ses semblables revient à ne pas voir ni pressentir leur méprise, c’est, du point de vue de la Gnose, se méprendre soi-même. Et c’est rédhibitoire.

Christian, 28/09/2014

ASHTAVAKRA GITA

Traduit du sanskrit par Hari Prasad Shastri
Ed. ARCHE MILANO 1980
Traduction française de HJ Maxwell & ML de Robillant

Je trouve en ce texte un condensé de ce que j’ai entendu de la bouche d’Emile pendant douze ans, rien qui contredise les propos de ceux que je considère au sommet de l’Esprit comme Nisargadatta ou Poonja, et une formulation directe, simple et sans précaution des clés de la Gnose. L’Auteur, quel qu’il soit, a trouvé l’essentiel, il s’y est arrêté et il s’y maintient.

La question centrale du Gnostique est, selon Emile : « Qui suis-je ? ». L’Ashtavakra Gita ne fait que répondre à cette question centrale sans dévier.

Chapitre 1, verset 3 : « Tu n’es ni terre, ni eau, ni feu, ni air, ni éther. Sache que ton Soi est Témoin de cela et différent de cela, si tu veux atteindre la libération. »

Chapitre 1, verset 7 : « Tu es le seul sujet de tout, et de fait toujours libre. La cause de ta servitude imaginaire est que tu attribues la subjectivité aux objets plutôt qu’au Soi. »

Nous sommes au cœur de l’Advaïta, la non dualité, qui est la clé majeure à condition que je sache me positionner moi-même par rapport à cette affirmation de l’unicité absolue de l’être, du sujet. S’il n’y a qu’un seul sujet, qui suis-je donc ? Moi qui dis « je » et qui me perçois comme « étant », je suis forcément ce sujet unique, bien que je me sois provisoirement construit en tant qu’individu sur le pilier central de la dualité, de la différenciation, et le monde avec moi. Ma servitude qui se reconnaît par le simple fait de ne pas être bienheureux, est imaginaire, et elle tient à ce que moi, le seul sujet de tout, l’unique être, je délègue ma qualité première, celle d’être, la subjectivité, aux objets. Quels sont ces objets qui m’asservissent, même imaginairement, parce que je leur fais un tel cadeau princier ? Pas seulement la matière inerte comme indiqué dans les commentaires de l’édition, mais tous les objets mentaux qui défilent sur l’écran de ma conscience, à commencer par ce corps-là qui a permis ma construction en tant qu’individu, et tous ces corps-ci qui constituent l’humanité des plus proches aux plus lointains. Alors que la subjectivité ne revient qu’au seul Soi, moi, à qui s’adresse l’auteur, je pratique du matin au soir un acte fondateur de la manifestation, je donne vie et identité aux formes qui se meuvent dans le mental, à commencer par celle que je prends pour moi-même. Or, je suis dépourvu de forme dans ma véritable nature où je désire m’établir. Il est facile de distinguer quel est l’acte des peuples animistes qui accordent l’idée d’une âme, donc d’une identité individuelle forte, à des animaux , des plantes, des objets autres qu’humains, il est plus difficile de voir comment le consensus psychique dans le processus de la manifestation me fait faire la même démarche pour l’humain, dont « moi-même », cette idée centrale qui me concerne.

Le verset 7 du chapitre 1 de l’Ashtavakra Gita est le pendant du verset 6 du poème IX d’Abd El Kader : « l’autre n’a d’existence que celle, imaginaire, érigée par vous en sensible ». Je suis ce « vous », et « l’autre » désigne au même titre, l’idée individualisée que je me fais de moi-même avec l’image associée de ce corps, comme la conception imagée « des autres ». Tous fantômes que Maître Eckart qualifie de pur néant.

Chapitre 1, verset 10 : « Tu es cette Conscience, la suprême béatitude dans laquelle le monde apparaît comme un objet imaginaire, comme un serpent dans une corde. Sois heureux ! Tu es Cela ! ».