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POSSESSION- DEPOSSESSION

Et la nuit même il mourut

Plus la recherche  se poursuit,  plus éclate l’évidence  que  seule la non-dualité  pernet de surmonter nos antagonismes  : bien-mal,  vertu­ vice, bonheur-malheur, masculin-féminin, richesse-pauvreté…

L’HOMME HISTORIQUE

Le  judéo-christianisme, l’islam,  le manichéisme… nous présentent au  cours  d’une  histoire  linéaire  le  bien  en  lutte  contre  le· mal,  le royaume de la lumière en opposition avec celui des ténèbres, l’esprit en butte à la matière,  Dieu aux  prises avec Satan…
 
L’existence  de deux principes, l’un bon, l’autre mauvais, se retrouvent  mêlés dans l’homme, d’où  sa condition  pécheresse et malheureuse et son besoin de s’expliquer le mal dans le monde. L’explication par le mythe  du  péché originel paraît enfantine,  même  si le baptême efface  la tache qui  résulte de la transgression  d’Adam. Du  reste le baptême  d’eau, chez le tout petit, paraît en contradiction  avec l’innocence du nouveau.-né que Jésus célèbre à maintes reprises, par exemple lorsqu’il  demande  à l’homme psychique,  qu’on  peut tout  aussi bien  appeler adamique (log.  85), d’interroger  le petit enfant de sept jours afin de trouver  la Vie  (log. 4), ou lorsqu’il  invite les disciples, s’ils veulent le voir, à se dépouiller de leurs vêtements (log. 37). Cette injonction s’adresse même aux pieux ascètes comme  Jean le Baptiste:
« Celui qui parmi vous sera petit connaîtra le Royaume  et surpassera Jean»  (log. 46).

Néanmoins, avant de retrouver la transparence de l’état d’avant les conditionnements, il nous  faut répondre  à une objection  de taille :«Comment le Créateur,  qu’on qualifie  de tout-puissant, peut-il permettre l’existence de Satan et de ses œuvres ? ». Seule une rétribution future  est à même  de sauvegarder chez le croyant à la fois la toute­ puissance  de Dieu et sa justice et le libre arbitre de l’homme. C’est donc au bout de l’histoire, lors de la résurrection des corps et du jugement  dernier,  que  la justice parfaite  pourra  être instaurée  et Satan vaincu.

En  attendant,  l’autorité  religieuse est là  pour  dire aux  fidèles ce qu’ils  doivent  faire. N’empêche que la loi demande  parfois à être interprétée.  Les théologiens  s’y emploient  sans réussir à se mettre d’accord, si bien  que le pouvoir  religieux s’effrite  de plus en plus ; mais on a toujours  la possibilité du renvoi au  jugement  final.
 
Néanmoins les objections  majeures restent sans  réponse.  On  ne maintient  pas le libre arbitre à coup  de dogmes  surtout  quand  on a contre  soi la plupart  des philosophes. Or sans libre arbitre,  pas de faute,  pas de rémission,  pas de récompense. Du reste, si Dieu avait dès l’origine disposé du libre arbitre en même  temps que de la toute­ puissance,  il n’aurait  pas laissé à Satan une  partie de ses pouvoirs. Ceux-ci   semblent   même   croître· avec  le  temps : la  situation   de l’homme s’aggrave au fur et à mesure que le temps passe. Dès lors si cet homme se reconnaît  et se veut historique, il est de plus en plus en proie à la terreur de l’histoire.  En somme, plus il se targue de «faire» l’histoire, plus il en devient la victime et plus il fait le jeu de Satan.

LE GNOSTIQUE

Le gnostique  sait que le salut n’est ni dans l’histoire  ni au bout de l’histoire,  mais qu’il est dans une sortie définitive du temps, dans une prise de conscience  de son essence qui transcende  le temps : «Heureux celui qui était avant d’exister»  (log. 19).  Le gnostique n’est pas aliéné par le film de son existence, même si celui-ci paraît décevant, déroutant,  banal,  voire scandaleux,  aux yeux du monde. Il est le spectateur de ce film particulier ; mais ce qui le requiert surtout c’est l’attention à sa nature originelle. Celle-ci est à la fois le non-manifesté et le manifesté,  le Royaume intérieur et extérieur.
 
Toutefois le particulier n’est  pas pour  autant  dilué,  noyé  dans le grand Tout.  L’homme  devient même l’occasion  de la manifestation : le corps  affranchi  du mental est la révélation  de l’Esprit  (log.  29). Grâce au corps, l’Esprit  se reconnaît et ainsi embrasse toute la manifestation : le haut comme  le bas, le bon  comme le mauvais, le riche comme le pauvre… L·’Esprit reconnaît  alors tout comme  procédant de lui sans distinction  des catégories mentales  établies par les hommes:  «Suis-je  donc  un  partageur ? »  (log. 72).
 
Le gnostique ne distingue pas entre le riche et le pauvre.  Le discernement  auquel  il s’est appliqué  en vue  de quitter  l’illusoire  pour le Réel lui a appris  que  le mental  seul est le possédant,  qu’il  est riche aussi longtemps  qu’il n’a pas renoncé à tenir la barre sur un navire où il n’est pas le maître à bord.  Des erreurs répétées, des échecs, des épreuves de toutes sortes lui apprennent  que les choses vont mieux lorsqu’il  laisse faire.
 
Néanmoins, il était nécessaire qu’il prît la mesure de son incurie, autrement dit qu’il s’engageât afin de pouvoir ensuite se désengager, qu’il  s’affirmât afin de pouvoir ensuite renoncer. S’il avait quelque doute à ce sujet, deux logia l’inviteraient à ne pas chercher à fuir le monde avant de l’avoir connu :

Jésus a dit :
Celui qui s’est fait riche, qu’il se fasse roi ;
et celui qui a le pouvoir,
qu’il renonce !     

(log. 81)

Jésus dit:
Celui qui a trouvé le 1nonde et s’est fait riche,
qu’il renonce au monde.
    

(log (110)

Ainsi  vouloir préserver un enfant en le maintenant à l’écart des affrontements de son âge risque de le maintenir dans un repli schizo­ phrénique préjudiciable à son développement. Lorsque les dangers et les obstacles surviennent, le jeune qui n’est pas aguerri pour s’insérer dans la société court le danger de se laisser aller à des excès dommageables, ou de fuir vers un idéalisme coupé du réel, ou encore de sombrer dans la folie.
 
Il faut que celui qui renonce sache à quoi il renonce. Tout se passe comme si les malingres et les velléitaires s’excluaient d’eux-mêmes de l’aventure de la gnose. Il n’en demeure pas moins que rien n’est plus vain ni plus sot que de vouloir persister dans l’affirmation et l’accu­ mulation à un âge où la compétition n’est plus de mise. La peur de manquer devient alors grotesque.
 
Cependant,  chez le gnostique, l’action avec l’âge ne devient pas résignation, elle ne devient pas davantage projection vers un devenir et un ailleurs compensatoires. Il sait depuis toujours qu’il a «cela en lui»  (log. 70) et qu’il ne deviendra pas «cadavre» (log. 60). Il sait que, «à celui qui a», on donnera : «Il sera émerveillé et il règnera sur le Tout»  (log. 2). Mais la richesse et le pouvoir qu’il découvre n’ont rien à voir avec la richesse et le pouvoir qu’offre  le monde.  C’est même tout le contraire, puisque le mental doit cesser son jeu d’affirmation pour que le règne s’établisse. Cette attention vigilante permet d’être le spectateur du spectacle: ce que Jésus appelle «connaître le monde».    Celui-ci  se  révèle  être  le  cadavre.  Quant au  spectateur   avisé,   Jésus   le   qualifie   en   disant   :   «Celui   qui   se trouve lui-même, le monde n’est pas digne de lui» (log. 111).

L’homme riche du logion 63 a continué  à s’identifier à son personnage.  Malgré sa grande  fortune,  « il avait peur de manquer ».  Ses projections  n’ont  qu’un but: sécuriser le personnage.  Il en est là de ses rêves qui  ont  sans  doute  retardé son  sommeil lorsque  «la  nuit même il mourut».

Qui suis-je ?

Qui suis-je? Fils de mon père et de ma mère bien évidemment!
Mais aussi Fils de la Vie,  du Père de Toutes Choses,
du Grand Tout, de l’Indicible.

Alors, je me libère de tous ces attachements affectifs, ces liens si puissants
venus de tous les membres de la famille et de ma niche environnementale,
et dont j’ai subi les influences,l’autorité, les manipulations,
mais aussi des sentiments positifs, de l’amour reçu.

A quelques parents culpabilisés, je leur dis : Nos enfants ne nous appartiennent pas,
et ils n’ont pas à répondre de nos désirs, transferts, compensations et autres;
Ils Font leur Vie.
Nul n’est responsable.

Ni Dieu, ni Maître, Aucune exigence à remplir.

Notre corps, « merveille de merveilles » est ici de passage, et pourtant
Quelque chose d’Éternel est là en nous et en dehors de nous.
Alors quoi ? Être soi-même ? Peut-être, mais pas comme une
Dictature du Moi ou du Soi; Plutôt comme une rivière qui s’écoule de sa source
vers l’océan, comme un mouvement et un repos.

Alors, sans céder à une Dualité avec la Manifestation,
il reste le Véritable Détachement.

Jean-Paul

ASHTAVAKRA GITA

Traduit du sanskrit par Hari Prasad Shastri
Ed. ARCHE MILANO 1980
Traduction française de HJ Maxwell & ML de Robillant

Je trouve en ce texte un condensé de ce que j’ai entendu de la bouche d’Emile pendant douze ans, rien qui contredise les propos de ceux que je considère au sommet de l’Esprit comme Nisargadatta ou Poonja, et une formulation directe, simple et sans précaution des clés de la Gnose. L’Auteur, quel qu’il soit, a trouvé l’essentiel, il s’y est arrêté et il s’y maintient.

La question centrale du Gnostique est, selon Emile : « Qui suis-je ? ». L’Ashtavakra Gita ne fait que répondre à cette question centrale sans dévier.

Chapitre 1, verset 3 : « Tu n’es ni terre, ni eau, ni feu, ni air, ni éther. Sache que ton Soi est Témoin de cela et différent de cela, si tu veux atteindre la libération. »

Chapitre 1, verset 7 : « Tu es le seul sujet de tout, et de fait toujours libre. La cause de ta servitude imaginaire est que tu attribues la subjectivité aux objets plutôt qu’au Soi. »

Nous sommes au cœur de l’Advaïta, la non dualité, qui est la clé majeure à condition que je sache me positionner moi-même par rapport à cette affirmation de l’unicité absolue de l’être, du sujet. S’il n’y a qu’un seul sujet, qui suis-je donc ? Moi qui dis « je » et qui me perçois comme « étant », je suis forcément ce sujet unique, bien que je me sois provisoirement construit en tant qu’individu sur le pilier central de la dualité, de la différenciation, et le monde avec moi. Ma servitude qui se reconnaît par le simple fait de ne pas être bienheureux, est imaginaire, et elle tient à ce que moi, le seul sujet de tout, l’unique être, je délègue ma qualité première, celle d’être, la subjectivité, aux objets. Quels sont ces objets qui m’asservissent, même imaginairement, parce que je leur fais un tel cadeau princier ? Pas seulement la matière inerte comme indiqué dans les commentaires de l’édition, mais tous les objets mentaux qui défilent sur l’écran de ma conscience, à commencer par ce corps-là qui a permis ma construction en tant qu’individu, et tous ces corps-ci qui constituent l’humanité des plus proches aux plus lointains. Alors que la subjectivité ne revient qu’au seul Soi, moi, à qui s’adresse l’auteur, je pratique du matin au soir un acte fondateur de la manifestation, je donne vie et identité aux formes qui se meuvent dans le mental, à commencer par celle que je prends pour moi-même. Or, je suis dépourvu de forme dans ma véritable nature où je désire m’établir. Il est facile de distinguer quel est l’acte des peuples animistes qui accordent l’idée d’une âme, donc d’une identité individuelle forte, à des animaux , des plantes, des objets autres qu’humains, il est plus difficile de voir comment le consensus psychique dans le processus de la manifestation me fait faire la même démarche pour l’humain, dont « moi-même », cette idée centrale qui me concerne.

Le verset 7 du chapitre 1 de l’Ashtavakra Gita est le pendant du verset 6 du poème IX d’Abd El Kader : « l’autre n’a d’existence que celle, imaginaire, érigée par vous en sensible ». Je suis ce « vous », et « l’autre » désigne au même titre, l’idée individualisée que je me fais de moi-même avec l’image associée de ce corps, comme la conception imagée « des autres ». Tous fantômes que Maître Eckart qualifie de pur néant.

Chapitre 1, verset 10 : « Tu es cette Conscience, la suprême béatitude dans laquelle le monde apparaît comme un objet imaginaire, comme un serpent dans une corde. Sois heureux ! Tu es Cela ! ».

 

Présentation du site

 

Lors de notre réunion à Marsanne de fin Décembre 2013, il a été décidé de créer un site Internet réservé aux adhérents à l’association et où seraient publiés des textes d’Emile Gillabert ainsi que les Cahiers Metanoïa. Un responsable a été désigné pour chacune de ces deux publications et un responsable a été désigné pour le site.

Afin de minimiser le coût de développement du site, il était indispensable de n’utiliser, pour ce faire, que des logiciels disponibles sur Internet. Mais il s’est avéré très vite que la mise en œuvre de ces logiciels nécessitait l’aide d’un spécialiste.

Un de mes amis m’a alors orienté vers une de ses amies, Barbara Pointeau, qui est Chef de projet Internet et était disposée à nous aider, qui plus est en nous faisant un « prix d’amis » pour cette aide. Nous l’avons rencontrée mi-Février  et l’aide qu’elle nous a apportée, nous a permis de mettre au point une première version du site en moins de trois mois. Je tiens à l’en remercier vivement.

Fin Décembre 2013, la suggestion a été faite que l’adresse-mail de chaque membre de l’association mémorisée dans la mémoire du site, ne permette pas d’identifier ce membre. A cet effet, je vous ai adressé, début Avril 2014, une procédure de création d’une adresse-mail non-identifiante.

Le site vous étant réservé, chacun de vous doit avoir un mot de passe. A cet effet, je vous ai adressé, début Mai, le mot de passe qui vous permet d’y entrer. Ce mot de passe a été choisi de manière à être facilement mémorisable, pour ceux qui ne se sont pas encore dotés d’une adresse-mail non-identifiante ; si vous souhaitez en changer, il vous suffit de m’adresser le nouveau mot de passe qui vous convient.

Des internautes non-membres de l’association peuvent éventuellement accéder à la page extérieure du site. Cette page comporte une présentation succinte de l’association, et invite tout internaute souhaitant devenir membre de l’association, à adresser à notre Président un mail exprimant les motifs de son intérêt. Je pense que nous serons très sélectifs …

La page d’accueil des membres de l’association comporte six rubriques.

Les deux premières rubriques sont consacrées à la publication de textes d’Emile Gillabert et à la publication des Cahiers Metanoïa.

Les deux rubriques suivantes permettent des échanges pratiques entre membres de l’association portant, d’une part, sur la vie de l’association (messages du président, organisation de nos réunions) et, d’autre part, sur les améliorations à apporter au site.

La cinquième rubrique permet à chaque membre de l’association de publier un poème ou un texte sur un sujet auquel l’association porte son intérêt.

La sixième rubrique permet d’ouvrir des débats sur des sujets auxquels l’association porte son intérêt. Il est conseillé que ces débats soient animés par un constant souci d’écoute et de recherche de consensus, souci qui n’est malheureusement pas toujours de règle dans les forums de sites Internet.

Les textes publiés dans ces deux dernières rubriques pourront être utilisés par le responsable des Cahiers en vue d’être inclus dans un prochain Cahier. Afin d’être protégés contre toute intrusion malveillante, les textes, une fois publiés sur le site, ne sont plus modifiables. Les textes des deux dernières rubriques doivent donc être adressés au responsable des Cahiers avant d’être publiés, afin que ce dernier puisse les aménager en vue de leur intégration à un prochain Cahier ; c’est la fonction « Intégration aux Cahiers ».

D’autre part, il m’a semblé opportun de prévoir une fonction « Alerte » de sorte que chaque membre de l’association soit prévenu lorsqu’un nouveau texte est publié sur le site.

Les deux fonctions « Intégration au Cahier » et « Alerte » auraient pu être automatiques mais cela aurait nécessité un développement logiciel coûteux. Aussi, nous avons dû nous résoudre à créer une adresse-mail intermédiaire : asso.meta@yahoo.com à laquelle chaque membre enverra le texte qu’il souhaite voir publié. Nous réfléchirons, dans les prochains mois, à des solutions alternatives facilitant la spontanéité des échanges tout en protégeant le site contre les intrus.

J’espère que le site, dans sa forme actuelle, répond à la majeure partie de vos attentes. N’hésitez pas, cependant, à faire des  suggestions sur de possibles évolutions du site en utilisant la présente rubrique « A propos du site ».

Le responsable du site

Présentation de l’Association Métanoïa

Créée en 1973 à l’initiative, notamment, d’Emile et de Monique Gillabert, l’association Métanoïa, régie par la loi du 1er juillet 1901, s’est donné pour objet statutaire « la mise en œuvre, par tous moyens, de la prospection, de la recherche, des études, de la réhabilitation, de la protection, de la défense et de la communication des grands enseignements de caractère métaphysique, archéologique, scientifique et technique de toute origine et de toutes tendances. »

Principalement, et dès l’origine, cette mise en œuvre s’est traduite par l’approfondissement de l’enseignement de Jésus à partir de l’évangile selon Thomas, figurant sur un manuscrit en langue copte découvert, en 1945, à Nag Hammadi, en Haute-Egypte, et rapportant, par la bouche de l’apôtre Thomas, les paroles cachées de Jésus le Vivant.

Et ce constant approfondissement s’est fait à la faveur, d’une part, de réunions régulières des membres de l’association, leur permettant de partager entre eux autour de cette recherche, à l’appui, en outre, d’autres textes – et, en particulier, des ouvrages d’Emile Gillabert dont tous s’y rapportent – et, d’autre part, de la réalisation et de la diffusion auprès desdits membres, de cahiers trimestriels rendant compte des résultats de leurs échanges et de leurs études personnelles.

Afin de « moderniser » la communication que permettent ces cahiers, il a été décidé, à partir de 2014, de les faire paraître sur Internet ; d’où la création d’un site approprié, réservé aux adhérents de Métanoïa, qui sont tous fraternellement invités à adopter ce nouveau mode de correspondance, qui ne saurait en rien nuire à la qualité de leur  recherche fondamentale et de la convivialité qui l’accompagne !

Nous leur disons donc, à bientôt !

Le président

Des yeux à la place d’un oeil

Question de Michel

 

Je viens de tomber, dans un article sur le soufisme du « Monde des religions » de Mars-Avril, sur le texte suivant qui éclaire d’un jour nouveau le logion 22 :

« Les soufis illustrent leur quête d’un équilibre entre transcendance et immanence, entre quête intérieure et souci de la Cité, par l’expression « l’homme aux deux yeux », qui a une référence coranique (90, 8-10). Avec son œil droit, ou œil intérieur, l’humain accompli voit l’unicité ; avec son œil gauche, ou œil extérieur, il voit le monde phénoménal qui nous apparait dans toute sa multiplicité. Ainsi ancré à la fois dans l’unicité et la multiplicité, il a une vision unifiante, comme en relief, de la réalité».

Qu’en pensez-vous ? Se pourrait-il qu’on retrouve dans le Coran l’affirmation de Jésus au logion 22 lorsqu’il dit : « Quand vous ferez des yeux à la place d’un œil… alors, vous irez dans le Royaume » ?

Michel

Réponse d’Yves

 

Encore une véritable énigme que nous pose Jésus : pourquoi des yeux à la place d’un œil ? De quels yeux et de quel œil s’agit-il ? Il n’est pas possible d’assurer qu’il y a une réminiscence de l’Evangile selon Thomas dans le Coran qui dit seulement : « Ne lui avons-nous pas donné deux yeux, une langue et deux lèvres. Ne lui avons-nous pas montré les deux voies ? » Il est par contre plus assuré d’y trouver une concordance avec les traditions soufies. Quelques exemples avaient ainsi été mis en exergue dans les premiers Cahiers Metanoïa (Paulette Duval, Une citation de l’Evangile selon Thomas chez un mystique arabe du 8-9e s. cahier N°9)

Le symbolisme des yeux ne peut bien sûr se comprendre que par rapport à celui de la vision comme de l’occultation et donc de la lumière comme des ténèbres. Au logion 28, Jésus nous dit que les hommes sont tellement plongés dans leur ivresse qu’ils sont tous aveugles. Tous sont dans les ténèbres de l’occultation qui est celle de ce monde. Ils sont aveugles dans leur cœur car ils n’ont pas l’œil du cœur, la vision transcendante de l’unité derrière la multiplicité des formes :

« …mon âme a souffert sur les fils des hommes
parce que ce sont des aveugles dans leur cœur
et ils ne recouvrent pas la vue
parce qu’ils sont venus au monde vides
et cherchent aussi à sortir du monde vides.»

Tant qu’il se fie à son seul œil physique, l’homme est dans la dualité, il distingue le sujet de l’objet. Il invente un Dieu séparé de ses créatures. Il se persuade de sa propre existence limitée. N’ayant pas la vision de l’Un, l’homme du logion 26 se focalise sur l’objet qui paraît devant lui, dans l’œil de son frère sans voir celui qui est dans le sien.  Son aveuglement est double : en voyant son frère comme autre que lui, il voit deux au lieu d’un. Persuadé de sa propre existence il ne voit pas le défaut qui est en lui, la faille qui infirme tout ce qu’il croit et tout ce qu’il voit. C’est en quelque sorte le « mauvais œil » qui lui fait voir l’altérité apparente de son frère :

« La paille qui est dans l’œil de ton frère,
tu la vois,
en revanche, la poutre qui est dans ton œil,
tu ne la vois pas.
Quand tu auras fait partir la poutre dans ton œil
alors tu recouvreras la vue
pour faire partir la paille dans l’œil de ton frère.»

Il n’est qu’un seul remède à un tel aveuglement, recouvrer la vue en retirant la poutre de son  œil. Il n’est qu’un seul remède, c’est celui de l’amour qui te fait un avec ton frère, qui fait ton frère comme n’étant autre que toi. Dans la vision unitive, tout est un, tout est l’Un et donc ton frère est toi, tu es ton frère. Il t’est donc aussi important que ce qui t’est le plus cher, dit Jésus au logion 25 :

« Aime ton frère comme ton âme ;
fais la garde de lui
comme de  la prunelle de ton œil. »

Dès lors que j’ai recouvré la vue, que ma vision est redevenue unitive, alors je peux recevoir la lumière de l’Un, la lumière du Tout. Telle est bien la promesse de Jésus au logion 17 : « Je vous donnerai ce que l’œil n’a pas vu… »

Je sais que pour recevoir cette lumière et connaître le royaume, il suffit de me faire petit, d’être pauvre en esprit, sans-mental, de retrouver l’esprit d’enfance, l’innocence de l’enfant de sept jours. Alors je sais que je surpasserai Adam et tous les prophètes, y compris Jean le Baptiste dont pourtant, nous assure Jésus, même « ses yeux ne seront pas détruits » (logion 46). Alors je pourrai célébrer mon retour, mon éternel retour en  l’Un, mon retrait en Moi-même : « Je chante le retour, la main qui ne retient pas, l’œil qui ne fuit pas, l’oreille qui attend, la source d’où je viens, le visage sans image que je reconnais » (Emille Gillabert, Cahier 14)

Jésus distingue l’œil qui ne voit pas (l’œil physique, l’œil extérieur) de l’œil du cœur (l’œil métaphysique, l’œil intérieur) tout en insistant également sur les yeux qui voient la totalité et qui sont immortels. Dans la Bhagavad Gîtâ comme dans les Upanishads, les deux yeux sont identifiés aux deux luminaires célestes. Le soleil et la lune sont les deux yeux de Vaishvanara, Celui qui pénètre toutes choses. Le soleil (l’œil droit) symbolise la vision de l’action et du futur tandis que la lune (l’œil gauche) représente la passivité et le passé. La Mundaka Upanishad dit du Soi cosmique : « La lune et le soleil sont ses yeux » (2-1-4) tout en affirmant par ailleurs : « L’œil ne le saisit pas » (3-1-8).

Le gnostique a la double vision de ce monde et de l’autre, du temps et de l’éternité ce qui lui permet de vivre dans le monde sans être du monde. C’est ainsi qu’Angelus Silesius peut dire: « L’âme a deux yeux : l’un regarde le temps, l’autre est tourné vers l’éternité » (Pèlerin chérubinique, III, 228). Image que Johannes Scheffler semble avoir emprunté à la Théologie germanique : « On dit que l’âme de Jésus-Christ avait deux yeux, un droit et un gauche… Or, l’âme créée de l’homme a aussi deux yeux. L’un est la faculté de voir l’éternité ; l’autre, de regarder le temps et la créature » (VII, 1-3).

Situé entre le soleil et la lune, entre les deux yeux, l’œil central ou troisième œil de Shiva correspond à l’Eternel Présent, à l’Instant au-delà du Temps. Il est la lumière, le feu qui brûle toutes les images de la manifestation. Le troisième œil ou œil du cœur est donc la synthèse des deux yeux, « le franchissement des deux yeux »  dont parle la tradition soufie. Dans la plénitude de son éveil, le soufi voit par tous ses yeux. Et voyant par tous ses yeux, c’est Lui-même qu’il retrouve dans les yeux d’Allah :

« Quand ton œil est devenu un œil pour mon cœur, mon cœur aveugle s’est noyé dans la vision.
J’ai vu que tu étais le Miroir Universel pour toute l’éternité : j’ai vu dans tes yeux ma propre image.
J’ai dit ‘Enfin, je me suis trouvé moi-même : dans ses yeux j’ai trouvé la Voie de Lumière’. »
(Rûmî, Mathnawî, II, 93)

Voir avec ses deux yeux c’est voir le Tout, c’est se  voir soi-même à travers son propre cœur. L’œil du cœur est celui à travers duquel l’homme ne peut voir Dieu qu’en se voyant soi-même, qu’en se faisant un dans l’Un :

« J’ai vu mon Seigneur avec l’œil du cœur, et Lui dis : « Qui es-Tu ? » Il me dit : « Toi ! » Mais pour toi, le « où » n’a plus de lieu, le « où » n’est plus, quand il s’agit de Toi ! Et il n’y a pas pour l’imagination d’image venant de toi, qui lui permettre d’approcher où Tu es ! Puisque Tu es Celui qui embrasse tout lieu, jusqu’au-delà du lieu, où donc es-Tu, Toi ? »
(Hallâj, Muqatta’at X)

Et c’est pourquoi, l’image ne peut plus avoir la moindre réalité. L’image n’a d’existence que par rapport à celle que lui accorde le mental. Quand le mental abdique, l’image est appelée à se dissiper. Ou plutôt s’il subsiste une image ce ne peut être qu’en tant que reflet de la lumière, nous précise Jésus au logion 22 :

« quand vous aurez fait…
une image à l’endroit d’une image,
 alors vous irez vers l’intérieur [du  Royaume]. »

Nul  ne peut voir Dieu. Qui affirme avoir vu Dieu est idolâtre puisqu’il prétend pouvoir exister séparément de Lui. Or « Autre que Lui » n’est pas. L’image ne peut que se dissoudre dans la lumière dont elle est issue : « Le non-être est un miroir, le monde une image, et l’homme est l’œil de cette image dans laquelle l’individu est caché. Tu es l’œil de l’image, et Lui la lumière de l’œil. Qui a jamais vu l’œil par lequel toutes choses sont vues ? Le monde est devenu un homme et l’homme un monde. Il n’est pas de plus claire explication que celle-ci. Quand on regarde attentivement dans la racine de la matière,  Il est à la fois ce qui est vu, l’œil qui voit et la chose vue. La sainte tradition déclare ceci et l’a démontré, ‘ sans œil et sans oreille’ » (Mahmûd Shabestarî, La roseraie du Mystère).

Le gnostique a les yeux ouverts sur l’Ouvert. Ayant accédé à la vision unitive, il est en mesure de voir que « le royaume du Père s’étend sur la terre » (log. 113). En lui, toutes les images s’effacent dans la pure lumière du Soi:

« Les images se manifestent à l’homme
et la lumière qui est dans elles est cachée.
Dans l’image de la lumière du Père,
elle se révélera
et son image est cachée au dehors par sa lumière.»
(log. 83)

Pour le poète également, le Royaume qui unit la vie et la mort se trouve en notre cœur si nous savons découvrir la lumière que reflète l’image. Dans l’un de ses Sonnets à Orphée (I, 9), Rilke évoque la véritable Image qui se cache derrière les images éphémères que nul ne peut saisir :

« Quand se trouble à nos yeux
Le reflet dans l’étang
Connais la vraie Image. »

Pour Rilke, l’animal, plus proche de la nature, a sur ce plan une supériorité sur l’être humain. A la différence de l’homme, l’animal est dépourvu de mental et voit directement l’au-delà de ce monde. Plongé dans l’innocence première, incapable de se révolter contre son Principe, il n’en est jamais séparé. Totalement confiant, il vit sans le savoir dans le Père. Quand il ouvre les yeux l’animal voit l’Ouvert et non le seul monde matériel tangible et limité. L’animal voit la mort qui pour lui est part de la Vie. Tel est le thème de la VIIIe   Elégie à Duino :

« De son regard immense, la vive créature
Pénètre dans l’Ouvert. Nos yeux à nous sont à l’envers
Posés comme des pièges pour cerner son  élan.
Ce qui est au-delà, nous ne le connaissons
Que grâce aux yeux de l’animal…

Son être est infini et clair comme son regard.
Nous voyons l’avenir lorsque lui  voit le Tout
Et dans ce Tout lui-même, délivré à jamais… »

A la différence de l’animal, l’homme a la faculté d’oublier sa vraie nature. Or ma nature est lumière. Je suis lumière. Tout en moi est lumière. Je suis ce que je suis et suis donc lumière pour moi-même et pour le monde. De même qu’il est de la nature du soleil de briller, il est de ma nature d’illuminer le monde entier. Comment pourrai-je faire autrement ? Le soleil ne disparaît pas lorsque paraissent les nuages. Il illumine sans se soucier des ténèbres. Je vais à la lumière parce que je viens de la lumière :

Dieu est la lumière des cieux et de la Terre…
Lumière sur lumière !…
(Coran, XXIV, 35)

Ce ciel passera,
et celui qui est au-dessus de lui passera…
Quand vous serez dans la lumière,
que ferez-vous !
(log. 11).

Nous sommes venus de la lumière,
là où la lumière est née
d’elle-même.
(log. 50)

Il y a de la lumière
au dedans d’un être lumineux,
et il illumine le monde entier.
(log. 24)

Yves

Réponse de Christian

 

« Quand vous ferez des yeux à la place d’un œil » Log 22

Ce verset du logion 22 de l’Ev. Selon Thomas doit à mon sens rester intégré à l’ensemble du logion pour être bien interprété. Il fait partie du développement de la proposition initiale qui reste le point de départ et le centre du propos : « Ces petits qui tètent sont comparables à ceux qui vont dans le Royaume. »

Ceux qui « vont » dans le Royaume sont ceux qui y sont ; ils y vont et viennent, ils y sont chez eux. Jésus les compare à des petits qui tètent, c’est qu’ils sont revenus, selon l’expression d’Emile GILLABERT, à l’état d’avant les conditionnements. Au logion 4, Jésus affirme que l’homme âgé en quête du Royaume va trouver auprès de l’enfant de 7 jours ce qu’il cherche : l’état qui précède toute construction mentale. Ici aucun point de vue personnel n’intervient, chez le petit enfant les matériaux ne sont pas encore là, mais chez le chercheur par contre ils sont bien là avec l’énorme habitude à s’imposer. Faire des yeux à la place d’un œil, n’est-ce pas reconnaître que mon point de vue est personnel et relatif, que d’autres ont forcément un autre point de vue pour de bonnes raisons, et donc, reconnaissant le caractère relatif non essentiel de cette pierre d’achoppement, je laisse tomber !!! Nous sommes encore avec ce logion dans le thème si souvent traité par l’Evangile de la pauvreté en esprit. Comment retrouver la vacuité intérieure si je m’accroche à des valeurs (haut / bas), à un personnage limité (dedans / dehors,  mâle / femelle), à des points de vues particuliers (un œil) ?

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Au sujet du logion 28 :

Dans la réponse d’Yves à Michel sur ce même sujet, le logion 28 de l’Ev selon Thomas est cité dans une traduction différente de celle d’Emile GILLABERT, qui se veut plus proche de l’écriture originale en copte du premier siècle de notre ère. L’intention est certes louable, cependant elle met de côté l’interprétation gnostique d’Emile GILLABERT, et le sens de certains versets s’en trouve complètement modifié.

Ainsi dans cette traduction plus littérale on lit que « les fils des hommes sont des aveugles dans leur cœur et ils ne recouvrent pas la vue parce qu’ils sont venus au monde vides »… ce qui, on en conviendra n’a rien à voir  avec « les fils des hommes sont aveugles dans leur cœur  et ne voient pas qu’ils sont venus au monde vides »…

Ce n’est pas parce qu’ils sont venus au monde vides qu’ils sont aveugles et ne recouvrent pas la vue, mais c’est leur aveuglement (et leur ivresse par trop plein de savoir) qui leur cache le trésor de leur vacuité de départ.

Cet exemple montre comment l’interprétation juste des paroles de gnose quand celles-ci sont elliptiques ne peut se faire sans la lumière de la gnose elle-même. Toute tentative trop littérale est vouée à l’échec.

Christian

Réponse de Michel

 

La traduction littérale du logion 28 de l’Evangile selon Thomas, publiée dans les Cahiers Metanoïa, dit :

«… les fils des hommes… sont des aveugles dans leur cœur et ils ne recouvrent pas la vue parce qu’ils sont venus au monde vides et cherchent aussi à ressortir du monde vides».

Le texte copte du logion 28 ne contient pas l’équivalent copte de « ils » et le copte ne connait pas de ponctuation. Aussi, si l’on supprime le premier « ils » inexistant dans le texte copte, et que l’on met, logiquement, une virgule entre « la vue » et « parce que », on comprend aisément Jésus lorsqu’il dit :

« les fils des hommes… sont des aveugles dans leur cœur et ne recouvrent pas la vue, parce qu’ils sont venus au monde vides et cherchent aussi à ressortir du monde vides».

Pourquoi « les fils des hommes… sont des aveugles dans leur cœur et ne recouvrent pas la vue » ?

PARCE QU’ « ils sont venus au monde vides et cherchent aussi à ressortir du monde vides».

 Leur aveuglement, leur ivresse, consiste en leur refus de voir que, s’ils sont venus au monde, c’est pour assumer pleinement leur condition puis s’en détacher avant de retrouver « le trésor de leur vacuité de départ » et d’interroger le petit enfant de sept jours.

 Emile Gillabert ne dit d’ailleurs rien d’autre lorsqu’il écrit « les fils des hommes … sont aveugles dans leur cœur  et ne voient pas qu’ils sont venus au monde vides et en sont même à tenter de repartir vides».

Car « celui qui s’est fait riche, qu’il se fasse roi ; et, celui qui a le pouvoir, qu’il renonce » (logion 81).

 Mais nous avons dérivé du logion 22 au logion 28 puis du logion 28 au logion 81.
Je propose que l’on revienne au logion 22.

Michel

 

 

 

Logion 54 – Commentaire d’Emile Gillabert dans le Cahier 43 (P12/13)

Puis-je dire quelque chose des pauvres ou de la pauvreté qui n’aille pas dans le sens d’une rétention de quelque nature qu’elle soit? L’image du tout petit s’offre à moi: il est sans passé, sans projet, démuni, désarmé et pourtant tout s’ordonne, tout se mobilise autour de lui pour que son existence soit assurée dans les meilleures conditions. Le pauvre ne serait – il pas comme ce tout petit?

Mais l’image du tout petit est encore un concept. Or tout concept, toute idée, est du domaine du mental. C’est donc quelque chose qui s’ajoute à un acquis dont je dois me départir pour être réellement pauvre. Tant que je nourris des concepts, tant que j’évoque des images, je travaille à alimenter mon mental, ce qui va dans le sens inverse de ce que je recherche. Comment faire tarir cette source d’inflation? Ou ce qui revient au même, comment retrouver l’état d’avant les conditionnements, d’avant même le concept Je Suis?

Je ne peux me servir du mental pour revenir à l’état sans mental. En revanche, j’ai connu, je connais, des états où les pensées n’interfèrent pas, des moments de plénitude où le cerveau est alerte mais tranquille, attentif à quelque chose qui tend à se révéler dans un silence où la mémoire et l’imagination sont absentes. C’est là comme une totalité sans limite, c’est perçu comme une vision sans quelqu’un qui voit et sans quelque chose à voir, c’est vécu dans une paix et une simplicité où rien n’est plus séparé. Le comparable s’est effacé devant l’incomparable. On baigne dans un univers sans contraire, sans contraste, sans désir et sans peur.

Logion 54-Commentaire d’Emile Gillabert dans « Le Procès de Jésus » – p. 148

La pauvreté dans l’Evangile selon Thomas rejoint la simplicité dont le petit enfant nous offre l’exemple.

Je ne peux me reconnaître tel que je suis dans ma réalité intemporelle que si je suis vide de tout ce qu’apporte le monde, vide de mon passé, vide de mes projections. « Ils sont venus au monde vides », (Log. 28) constate Jésus qui déplore de les trouver ivres.

Mon psychisme est mon ivresse. Il se constitue et se maintient en s’appuyant sur la mémoire pour s’annexer le corps et s’imaginer différent des autres. Je suis réellement pauvre si je me départis de toutes mes fabrications, ce qui implique que je retrouve l’état de ma vraie nature qui est sans mémoire et sans imagination. Cela peut aussi se dire ainsi: au lieu de vivre tourné vers le passé ou vers le futur, je demeure dans l’ici – maintenant, attentif à ce qui n’a pas de nom, que je peux appeler Royaume, Présence, Réalité… Alors il n’est plus question de distinguer la pauvreté intérieure de la pauvreté extérieure.

Parlant de la pauvreté, Maître Eckhart dit: «Est pauvre l’homme qui ne veut rien, ne sait rien, n’a rien.» Il développe ensuite ces trois exigences de pauvreté. La première me libère de tout vouloir, de tout désir, de Dieu même. La seconde m’affranchit de mon savoir me permettant de retrouver l’état – lorsque je n’étais pas – d’où fluent connaissance et amour. La troisième me libère des hommes, de Dieu et me permet de retrouver l’être éternel que j’ai été, que je suis et que je serai à jamais. Libéré du vouloir, du savoir et de l’avoir, je me connais comme étant « cause de moi-même selon mon être qui est éternel, et non selon mon devenir qui est temporel. C’est pourquoi je suis non-né et selon mon mode non-né, je ne puis jamais mourir ». (Sermon Beati pauperes spiritu.)