Le logion 47, nous fait prendre conscience des contradictions, des inconséquences et des conflits qui sont inhérents à celui qui vit en mode dualiste. Seule une approche de la non-dualité peut nous permettre de surmonter l’angoisse existentielle indissolublement liée à la personne.
Que 1’enseignement de Jésus, à 1’égal de celui du Védanta, soit non-duel, un certain nombre de logia l’attestent à l’évidence, encore faut-il être déjà engagé dans la voie de la gnose pour en être convaincu. L’observateur extérieur risque, en revanche, de ne voir dans les paroles de Jésus que propos contradictoires. Il ne pourra pas, cependant, ne pas remarquer que l’accent est mis sur le retour à l’Un. Il parlera alors, comme c’est déjà arrivé maintes fois, de monisme tout en voulant exprimer une idée d’appauvrissement et de restriction.
Il est bien évident que le gnostique ne saurait souscrire à ce point de vue
« réductionniste ».En effet, Jésus invite ses disciples s’ils se sont interrogés sur leur origine, à répondre: Nous sommes venus de la lumière, là où la lumière est née d’elle-même (log. 50). La lumière, née d’elle-même, est issue de la possibilité infinie, laquelle est, suivant l’expression de Nisargadatta, au-delà de l’Etre et du non-Etre. Jésus dit de lui-même: « Je suis la lumière qui est sur eux tous. Je suis le Tout. Le Tout est sorti de moi, le Tout est parvenu à moi » (log. 77). Comment ne pas rapprocher cette parole de cette autre du grand Maître védantin que nous venons de mentionner : « Je suis la lumière où apparaissent et disparaissent tous les rêves. »
Le disciple a la même origine que le Maître ; toutefois il ne le réalise pas encore. Les paroles de Jésus ont justement pour objet de lui faire prendre conscience de son identité véritable. Car le Maître veut faire du disciple, non pas un éternel second, mais son alter ego, à une condition seulement, c’est que celui-ci soit déterminé à s’engager dans l’aventure qu’il propose et à en payer le prix : « Celui qui boit à ma bouche sera comme moi; moi aussi, je serai lui, et ce qui est caché lui sera révélé » (log. 108). Dans l’Evangile selon Thomas, Jésus annonce d’entrée de jeu que le disciple règnera sur le Tout (log 2), et à plusieurs reprises, il déclare que le monde ne sera pas digne de lui. Les cinq premiers logia révèlent, avec une économie de moyens extraordinaires, l’identité réelle du disciple et les moyens de parvenir à la réaliser; ce qui permet de dire, croyons-nous, qu’aucun autre enseignement ne dévoile en si peu de paroles la Réalité ultime et n’annonce avec la même sobriété l’orientation et l’esprit dont doit faire preuve le chercheur.
Dans la suite des logia, les difficultés à surmonter sont signalées peu à peu, si bien que le disciple apprend à rendre à César (l’hylique) ce qui est à César, à Dieu (le psychique) ce qui est à Dieu et à Jésus (le pneumatique) ce qui lui revient.
Si le disciple accepte l’offre de Jésus, s’il prend à cœur la révélation inouïe contenue dans les logia 2 et 3, s’il y revient sans cesse, alors il rend son dû à l’Esprit, qui est sa Réalité ultime, comme elle est celle de Jésus le pneumatique.